La télé française fait enfin sa révolution sexuelle

  • Les chroniques et documentaires de Maïa Mazaurette sur TMC, la chronique de Camille Aumont Carnel depuis la rentrée dans Quelle époque ! sur France 2 et Orgasmiq, le talk-show présenté par Rosa Bursztein dès mardi sur Téva : le sujet de la sexualité est de plus en plus abordé sans détour à la télévision.
  • « Je sais qu’aujourd’hui la tendance est de dire que la télé n’a plus rien à apporter à personne et que le désir est mort. Mais ce n’est pas un hasard de voir que la télévision s’empare de plus en plus du sujet. Ça intéresse les gens et si ça les intéresse, c’est qu’il y a un manque d’information », souligne Maïa Mazaurette à 20 Minutes.
  • Décomplexer le public est le maître mot des « sexpertes ». « J’ai envie que les gens puissent s’enlever un poids de leurs épaules », résume Camille Aumont Carnel.

A la télé, on commence enfin à appeler un chat un chat et une chatte une vulve. Pendant des décennies, la sexualité sur le petit écran a dû se cantonner au registre tantôt grivois, tantôt sensationnaliste, tantôt pornographique – le fameux « premier samedi du mois sur Canal+ ». Autrement dit, quand les émissions n’en parlaient pas, elles en parlaient mal ou pas vraiment, ce qui revient au même.

Mais les choses sont en train de changer. Depuis deux ans, la « sexperte » Maïa Mazaurette assure une chronique sur le sujet dans Quotidien, sur TMC. Cette même chaîne diffusera mercredi son documentaire Désir : Ce que veulent les hommes, une exploration de la libido masculine à travers de multiples témoignages et reportages. Mardi, Téva lance, à 21h, Orgasmiq, un talk-show animé par Rosa Bursztein. Le thème du premier numéro : « Doit-on jouir pour être heureux ? » Les suivants traiteront du polyamour, du désir ou encore des fantasmes…

Et puis, tous les samedis dans Quelle époque ! sur France 2, Camille Aumont Carnel ouvre son Sex Club pour répondre aux questions sexo du public… Par exemple : « Pourquoi, quand j’ai un rapport sexuel, est-ce que je n’arrive jamais à atteindre l’orgasme sans me toucher ? » ou « Je me suis rendu compte que mon sexe ne ressemblait pas à ceux qu’on peut retrouver dans le porno. Cela me donne des complexes. Est-ce que c’est normal ? »

« Bonnes mœurs et censure »

La plupart de ces interrogations émanent de la communauté que Camille Aumont Carnel a constituée via son compte Instagram, @jemenbatsleclito, suivi par près de 700.000 personnes. « Là-dessus, j’aborde la sexualité de façon hyper décomplexée et cash. Je reçois environ 300 messages par jour », avance l’autrice. Et de préciser : « Je ne suis pas sexologue, je ne suis pas journaliste, je ne suis pas sage-femme, je ne suis pas gynéco. Je suis Camille. Le fait d’être identifiée comme une personne à qui on peut poser des questions et qui y répondra très sincèrement, ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est de l’amener à la télévision, sur le service public, un samedi soir et qu’on en parle de cette façon-là. »

Elle raconte que le producteur de Quelle époque !, Régis Lamanna-Rodat, l’a contactée car « cela lui tenait à cœur, dans sa volonté d’aborder des thématiques contemporaines, de laisser de la place pour parler de sexualité, pour voir où en est la sexualité des Françaises et Français en période post-#metoo. »

« Il faut que la télévision se révolutionne et progresse, clame Rosa Bursztein. Si les émissions sur la sexualité n’existaient pas, c’était pour des questions de bonnes mœurs, de censure. Ce n’est pas pour rien que les gens se sont tourné vers les réseaux sociaux. Tout d’un coup, il y avait une parole qui hyper libre », souligne l’animatrice d’Orgasmiq. Elle est d’ailleurs accompagnée, autour de la table de Téva par Charline Vermont et Charline Gayault, dont les comptes Instagram @orgasme_et_moi (657.000 abonnements) et @charline.sagefemme (132.000 abonnements) font référence.

« Si ça intéresse, c’est qu’il y a un manque d’information »

Dans le sillage de #metoo, il est apparu nécessaire de parler de sexualité autrement, de rappeler la notion de consentement, d’ouvrir des réflexions sur l’hétéronormativité ou les dynamiques patriarcales… Camille Aumont Carnel, qui a lancé @jemenbatsleclito en octobre 2018, parle de « révolution sexuelle 2.0 à coups de hashtags ». Selon elle, il est logique que le changement de paradigme constaté sur les écrans des smartphones s’illustre désormais sur ceux des téléviseurs.

« Je sais qu’aujourd’hui la tendance est de dire que la télé n’a plus rien à apporter à personne et que le désir est mort. Mais ce n’est pas un hasard de voir que la télévision s’empare de plus en plus du sujet de la sexualité. Ça intéresse les gens et si ça les intéresse, c’est qu’il y a un manque d’information », appuie Maïa Mazaurette lorsqu’on lui demande s’il est important de parler de sexe à la télé alors que le sujet est largement évoqué sur les réseaux sociaux, dans des séries, des livres ou des podcasts accessibles par le plus grand nombre. « La télévision se consomme en couple ou en famille alors que les contenus sur Instagram se consomment de façon personnelle, poursuit-elle. Ce n’est pas la même chose de recevoir une information sexuelle quand on est avec sa copine, son copain, ses parents : on peut faire une remise au point ou démarrer une conversation. »

« Il y a des gens qui n’ont pas envie d’être tout le temps sur les réseaux, insiste Rosa Bursztein. Et puis ce n’est pas exactement le même contenu. Un post, c’est un peu court. Dans Orgasmiq, les témoins viennent raconter des expériences de vie, des expertes donnent des analyses extrêmement fines. C’est deux heures de discussion, ça permet d’aller en profondeur. »

Camille Aumont Carnel ne dit pas autre chose : « La télévision permet de toucher une autre audience. Avec l’alimentation, la sexualité est le seul sujet que l’on a tous et toutes en commun sur la Terre. Mais cette thématique est encore très verrouillée, tabou, méconnue… C’est une très bonne chose d’avoir l’opportunité d’aborder ces thématiques, de faire avancer les mentalités, d’informer, de déconstruire, d’éduquer tout en faisant marrer. »

Liberté de ton

Elle constate déjà l’impact de ses apparitions dans Quelle époque ! : « On m’a arrêtée au moins dix fois dans la rue ces deux dernières semaines pour me dire : « Tu ne peux pas savoir à quel point ça fait du bien de voir une nana comme toi parler de sexualité, surtout de cette façon-là. » »

La liberté de ton s’avère essentielle pour parler d’intimité sur le petit écran. « Je n’ai aucune censure de la chaîne ou de la production, assure Camille Aumont Carnel. Faire quelque chose d’hyper édulcoré, ça ne marche pas, ce n’est pas moi et ce n’est pas ce que les gens veulent voir ou entendre. »

« En télévision aussi, on peut aller droit au but, avec des images parlantes, des explications claires, sans jamais être vulgaire ni vouloir choquer », confirme de son côté Rosa Bursztein. Son profil d’humoriste à la tête du podcast Les mecs que je veux ken, a été une évidence pour la production d’Orgasmiq.

« Le fait de faire des blagues, de dédramatiser, de parler de moi en riant permet aux témoins de se sentir à l’aise, de créer un climat de discussion où chacun partage et d’accéder aux paroles les plus intimes », affirme celle qui joue son seule en scène, interdit aux moins de 12 ans, à la Nouvelle Seine à Paris.

« Le but n’est pas de dire « baisez du matin au soir » »

Décomplexer le public, voilà le maître mot des « sexpertes ». « J’ai envie de faire du bien, que les gens puissent s’enlever un poids de leurs épaules ; celui dû à toutes ces croyances, à ces moments où on s’est trouvé bizarre, pas dans le moule, pas normal, où on s’est posé un milliard de questions en se demandant si ça n’arrivait qu’à nous », résume l’autrice de @jemenbatsleclito.

Ses propos font écho à ceux de Rosa Bursztein : « Avec Orgasmiq, on veut que quelqu’un qui regarde se dise « Ah, c’est normal en fait et se sente moins seul. » Je pense que les femmes ont été énormément complexées par leurs corps, par leur capacité à avoir du plaisir. » Et de poursuivre : « On veut la plus grande inclusion possible. On parlera du fait de sortir des normes pénétratives, par exemple. On évoquera le plaisir prostatique. Quand traitera des rapports sexuels avec des objets, on soulignera que ce sont des rapports que des hommes peuvent avoir avec des femmes, que des femmes peuvent avoir entre elles… On veut casser les injonctions. Le but n’est pas non plus de dire « baisez du matin au soir » mais que chacun se sente libre d’explorer la sexualité sans gêne. »

« Le sexe, c’est des émotions, de la politique, de l’économie… »

Maïa Mazaurette, qui était jusque-là bien seule sur le créneau à l’antenne, dit accueillir « avec joie ce qui pourrait être de la concurrence ». Elle explique : « Quand on est extérieur au monde de la sexualité, on peut penser qu’un documentaire ou une chronique sur le sexe suffit. Mais il y a tellement de manières d’envisager ces choses-là. Le sexe, c’est des émotions, de la politique, de l’économie… La multiplicité de points de vue apporte plus de liberté aux gens qui reçoivent l’information. Je donne le mien mais je trouve ça intéressant que les gens ne soient pas d’accord avec moi, que d’autres journalistes portent une analyse très différente de la mienne, parce qu’on est toujours plus intelligent et empathique quand on reçoit davantage d’information. »

Et si l’offre est désormais un peu plus étoffée à la télévision, il y a encore pas mal de marge avant d’affirmer qu’elle sature les grilles des programmes. « Si on compare le nombre d’émissions sur le sexe avec le nombre d’émissions sur le sport ce n’est rien. On n’en est qu’au début. J’ai envie que ce soit dynamique », reprend Maïa Mazaurette, heureuse « de travailler dans un champ où il y a de plus en plus d’idées nouvelles, d’objets nouveaux ».

Camille Aumont Carnel, elle se verrait bien « incarner une émission de télé sur le service public parlant de sexualité », d’ici « deux ou trois ans ». La révolution sexuelle du petit écran ne fait que commencer.

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