Christian Marin : La gueule de l'emploi

Disparu il y a dix ans, cet éternel second rôle a promené son air “abêti” dans une cinquantaine de films et a servi avec ferveur le théâtre.

Avec sa bouille allongée de gamin espiègle, ses oreilles décollées qui lui valurent les moqueries de ses camarades qui l’affublaient du sobriquet de « feuilles de chou », son air simplet qui le faisait parfois confondre avec Jacques Balutin, Christian Marin avait la gueule de l’emploi : celle du comique d’office, capable d’enfiler n’importe quels costumes et de se faufiler dans tous les genres ! Une sorte de queue-rouge au sourire doux, qui a su divertir et toucher des générations de Français par ses interprétations. À l’équilibre du tragique et du comique, cet acteur éclectique parvenait, avec ses yeux ciel de traîne, à toucher les cœurs dans les rires comme dans les larmes, insufflant une vraie humanité à ses personnages. Il appartenait à la catégorie des seconds rôles qui, à force d’apparaître à l’écran, finissent par faire partie du patrimoine.

L’appel brûlant de la vocation

Christian Marin naît le 8 février 1929 dans le 2e  arrondissement de Lyon (Rhône). Très tôt, il ne désire qu’une chose : brûler les planches. Au seuil élancé de la vingtaine, il fait ses premières gammes de comédien sur les scènes de la capitale des Gaules, avant de monter à Paris au mitan des années 1950. En 1956, il est ainsi à l’affiche d’À la monnaie du pape, de Louis Velle, mis en scène par René Dupuy, au théâtre Gramont, mais aussi de trois autres pièces : Nemo, d’Alexandre Rivemale, L’Hôtel du libre-échange, de Georges Feydeau, et Le Baladin du monde occidental, de John Millington Synge. L’année suivante, on le retrouve dans La Visite de la vieille dame, de Friedrich Dürrenmatt, et dans Romanoff et Juliette, de Peter Ustinov, mise en scène par son complice Jean-Pierre Grenier… mais aussi au générique de deux films : Ces dames préfèrent le mambo, de Bernard Borderie, et Nous autres à Champignol, de Jean Bastia, qui le sollicite de nouveau en 1960 pour Les Tortillards. Évidemment, la télévision le réclame aussi ! Il est ainsi Francisco dans La Marquise d’O, de Claude Barma, en 1959, puis il rejoint la série La Belle Équipe, d’Ange Casta, diffusée jusqu’en 1963.

Dans le même temps, Christian Marin continue à servir avec ferveur le théâtre, enchaînant Tessa la nymphe au cœur fidèle, de Jean Giraudoux, L’Étonnant Pennypacker, de Liam O’Brien, La Double Vie de Théophraste Longuet, de Jean Rougeul, John Smith 1er, de Jaime Silas, L’Idiote et Turlututu, de Marcel Achard, Ange pur, de Gaby Bruyère…

Entouré de ses complices Michel Galabru, Louis de Funès et Jean Lefebvre, l’acteur fait se tordre les Français avec la saga du Gendarme à Saint-Tropez.

À la fin des années 1960, le succès phénoménal des Chevaliers du ciel scelle son amitié avec son collègue, Jacques Santi.

Avec Bernard Blier, lors de la création de la pièce Le Nombril, de Jean Anouilh, au théâtre de l’Atelier, à Paris, en 1981.

“Douliou-douliou Saint-Tropez » !

Au début des années 1960, il ne quitte plus les plateaux et est à l’affiche de dizaines de films de Robert Dhéry (La Belle Américaine), Gérard Oury (Le crime ne paie pas), Claude Autant-Lara (Le Magot de Josefa), Yves Robert (Bébert et l’Omnibus, Les Copains, Monnaie de singe), ou encore Jean Girault avec le fameux Pouic-Pouic !

Deux rôles vont alors définitivement sceller la popularité de Christian Marin auprès du grand public. Entre 1964 et 1970, ce petit-fils de gendarme incarne ainsi le gardien de la paix Albert Merlot dans les quatre premières aventures du Gendarme de Saint-Tropez, aux côtés de Louis de Funès. L’épisode initial de la saga réunit près de 8 millions de Français et fait trembler James Bond au box-office ! Dirigé par son comparse, le réalisateur Jean Girault, l’artiste donne à Merlot une dimension hors norme, dans laquelle il libère son génie comique. Le film réconcilie les générations, qui rient autant des pitreries du papa-gendarme que des excentricités de la jeunesse !

Inoubliable Laverdure

Pour le petit écran cette fois, Christian Marin devient Ernest Laverdure dans Les Chevaliers du ciel, série de 39 épisodes diffusée entre 1967 et 1969, adaptée de la bande dessinée de Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo, et au générique chanté par Johnny Hallyday ! Il incarne un lieutenant gaffeur et charmeur aux côtés de l’exemple de droiture Michel Tanguy, interprété par Jacques Santi. « Nous avons été, Jacques Santi et moi, de véritables héros et, tous les samedis soirs, les Français se ruaient pour assister aux élucubrations de ces deux héros », se rappelait l’acteur. Avant d’avouer qu’après la série, « l’atterrissage a été difficile, je n’étais plus employé. J’étais trop connu. J’avais passé le mur du son… »

Le dernier vol

À la fin des années 1970, oublié par le cinéma, Christian Marin retourne donc sur les planches, « son réacteur » comme il aimait à dire. Et, alliant le plaisir à l’agréable, il fait des étincelles dans les représentations télévisées d’Au théâtre ce soir, frappant les trois coups dans le salon des Français (Le Coin tranquille, de Michel André, Une nuit chez vous Madame, de Jean de Létraz, Jean de la Lune, de Marcel Achard…).

Christian Marin décède d’un cancer le 5 septembre 2012, à 83 ans, quelques semaines après avoir achevé la rédaction de ses souvenirs, intitulés Mémoires d’un chevalier du ciel (éd. Sillages). Après une cérémonie religieuse en l’église Saint-Roch à Paris, l’inhumation à lieu à Ermenonville (Oise), où deux Alpha Jet de la base aérienne militaire de Tours survolent le cimetière, rendant ainsi un dernier hommage à celui qui incarna si bien le lieutenant Ernest Laverdure. Outre son épouse Monique, avec qui il vécut soixante ans, l’acteur a laissé derrière lui quatre enfants et huit petits-enfants.

Dominique PARRAVANO

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