La fille du papa du Petit Nicolas a adapté cette œuvre éponyme en film d’animation. Rencontre avec une femme de talent qui manie la plume avec brio.
Ici Paris: Vous avez coécrit et adapté en roman le film d’animation Le Petit Nicolas qu’on attend pour être heureux ?, dans les salles à partir du 12 octobre.
N’avez-vous pas appréhendé de prendre la suite de votre célèbre papa, René Goscinny, à l’origine du personnage ?
Anne Goscinny : L’exercice était délicat. Il fallait que les fans du Petit Nicolas, dont je suis, s’y retrouvent.
Je parle à la première personne. Je me mets à la place du petit Nicolas, à hauteur d’enfant.
Je n’ai pas essayé d’imiter mon père, même si je voulais coller au plus près du style qui fait le succès des histoires de ce petit garçon.
Comment avez-vous réagi à la disparition, le 11 août dernier, du dessinateur Jean-Jacques Sempé, le deuxième père du Petit Nicolas ?
J’ai eu la chance de visionner avec lui quelques morceaux du film, qu’il cautionne les images et d’être témoin de son émotion sur certaines séquences… Sa disparition m’a causée un chagrin immense. Il était le dernier ami de mon père encore de ce monde. Un ami dans les yeux duquel je pouvais voir le regard de mon père.
”La disparition de Sempé m’a causée un chagrin immense”
Il vous parlait souvent de lui ?
J’ai envie de dire qu’il ne parlait que de mon père quand on se retrouvait. Sans doute parce que je lui ressemble beaucoup. La période où ils ont travaillé ensemble, de 1959 à 1964, était l’une des plus heureuses de sa vie, me disait-il. Ils s’entendaient très bien, ils se marraient toujours ensemble.
Vous avez pris la parole lors de ses obsèques en évoquant leur duo :« Vous avez créé le Petit Nicolas. Vous avez fait sourire toutes les enfances. Aujourd’hui, vous vous êtes retrouvés, j’en suis sûre, et je vous entends rire aux larmes » avez-vous déclaré. Vous en aviez besoin ?
Oui absolument. J’ai lu aussi des extraits d’une très belle lettre que Jean-Jacques Sempé avait adressé à ma mère à la mort de mon père. La cérémonie était très émouvante. Les derniers mois de sa vie, Sempé était très affaibli. On ne peut pas lutter contre le temps qui passe.
Il allait avoir 90 ans la semaine suivant son décès.
Photo Julien de Fontenay
Vous avez longtemps refusé d’écrire pour la jeunesse expliquant « on ne s’essaie pas à l’opéra quand on est la fille de Mozart. » Pourquoi avoir franchi le pas en créant le personnage de Lucrèce dans votre série de romans illustrés Le monde de Lucrèce ?
Je ne renie pas mes propos mais j’ai rencontré l’illustratrice Catel il y a quelques années. On a commencé à travailler ensemble et on est devenus très amies. De ce coup de foudre d’amitié est né ce personnage de Lucrèce. Une préado qui se cherche et se pose plein de questions, une sorte de grande sœur du Petit Nicolas
Votre fille Salomé (aujourd’hui âgée de 19 ans) vous a-t-elle inspirée ?
Oui, je me suis inspirée pas mal de Salomé. De l’enfance que je n’ai pas eu le temps de finir d’avoir aussi, puisque mon père est mort quand j’avais 9 ans.
Je me suis sans doute inventée une fin d’enfance avec ce personnage. Cet âge-là, entre l’enfance et l’adolescence, est passionnant à explorer.
“L’âge entre l’enfance et l’adolescence est passionnant à explorer”
Comment vous êtes-vous reconstruite après la mort de votre père ?
À 9 ans, on est déjà construit. La question serait plutôt comment on se déconstruit. On ne peut pas aller contre la nature hélas.
Et il y a une fêlure éternelle en moi. Se remet-on un jour d’un choc comme celui-ci ? Mon père est parti de la maison pour aller faire un examen. Il n’est jamais rentré. Il m’a dit : « À tout à l’heure » et je ne l’ai jamais revu. Ça a été extrêmement brutal. J’ai perdu ma mère à 25 ans mais ce n’est pas la même chose.
Elle est décédée après un long combat de dix-sept ans contre le cancer. Chose assez curieuse, mes parents avaient tous les deux 51 ans quand ils sont partis.
Vos deux enfants, Salomé et Simon, ont-ils dévoré, comme vous, les œuvres de votre père ?
Ils sont très différents l’un de l’autre. Chacun à sa manière a découvert l’œuvre de leur grand-père à la fois très connu par le public mais inconnu d’eux. Parfois, je les entends rire en lisant un album de mon père. Je suis touchée.
À 8 ans, Simon m’avait dit : « Mon grand-père, il est mort mais c’est pas grave, il est rigolo quand même ». J’avais trouvé que cette phrase synthétisait parfaitement la situation.
“Pour Lucrèce, je me suis pas mal inspirée de ma fille Salomé”
Vous avez publié Romance en mai, votre œuvre la plus personnelle où il est question de deuil, de reconstruction… L’histoire de votre vie finalement ?
J’ai mis quarante-deux ans à l’écrire, j’en ai 54. Dans ce livre, il y a cet univers qui mêle fantasme, fantôme et réalité.
Il est question aussi de cette période charnière qu’est l’adolescence. De tous mes romans, c’est celui auquel je tiens le plus. Je me suis beaucoup investie dans ce récit…
Propos recueillis par Thomas Promé
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