Sandrine Rousseau, Elisabeth Borne… : ces voix de femmes politiques qui « écorchent » les oreilles des hommes

Poissonnière, ton de répondeur téléphonique… Quand elles ne sont pas moquées pour leurs tenues vestimentaires, les femmes politiques font l’objet d’autres attaques sexistes : leur voix. Elisabeth Borne, Olivia Grégoire, Ségolène Royal, entre autres, n’ont pas été épargnées. Explications.

« C’est très, très compliqué la voix, pour nous, les femmes. Parce qu’il nous arrive de la perdre bien plus souvent que les hommes ». La confession est signée Valérie Pécresse dans le livre On a les politiques qu’on mérite de Chloé Morin. De tout temps, ce sont les hommes qui ont monopolisé l’espace public et le discours politique. Les hommes palabrent, les femmes ont été invisibles. Ou invisibilisées. « Le féminin de tribun, la figure absolue de la politique, c’est tribune. Or une tribune, c’est une table« , ironise la députée Sandrine Rousseau auprès de gala.fr. « Comme il n’existe pas de féminin pour leader, meneur, chef… Tout ce qui désigne une position de leadership politique n’a pas de féminin« .

Pourtant, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, une femme, Yaël Braun-Pivet, est présidente de l’Assemblée nationale. Le « Premier ministre » est une femme : Elisabeth Borne, la seule depuis Edith Cresson. Mais avoir un poste de premier plan n’évite pas les écueils dont les femmes sont encore trop souvent victimes. Elles font encore et toujours l’objet de vives critiques, symptôme du sexisme ordinaire qui existe dans nos sociétés. Et parmi ces critiques, il y a la voix. « Renvoyer des choses à des caractéristiques physiques, c’est dire au fond, que les femmes n’ont pas leur place ici. Elles ne peuvent pas changer leur voix, donc, si leur voix est insupportable, ça voudrait dire qu’elles ne devraient pas être là », s’insurge Sandrine Rousseau.

« Voix de camée, marchande de poisson »…

Selon les stéréotypes de la féminité, la femme doit avoir une voix souple, douce, claire, enveloppante, une voix ni trop forte, ni trop aigüe. Surtout pas criarde… mais pas trop grave non plus. Lorsqu’elle a été nommée porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire a fait l’objet d’une montagne de remarques désobligeantes sur les réseaux sociaux au sujet de sa voix grave et voilée : « marchande de poisson », « voix de camée », « cigarettes et petit whisky dans la voix », on en passe et des pires. Elle ne restera que quelques semaines à ce poste avant d’être remerciée. Privée de porter la voix du gouvernement, elle sera remplacée par Olivier Véran.
Pourtant, la voix d’Olivia Grégoire symbolise une tendance qui n’a cessé de progresser depuis les années 50 : la fréquence de la voix des femmes a baissé d’environ d’une cinquantaine hertz, elle est de plus en plus grave. Si l’on veut résumer par un procédé simpliste : elle se rapproche de celle des hommes. Or, une voix grave serait associée dans l’imaginaire collectif à l’autorité, la force, la confiance… Autant de caractéristiques que certains diraient typiquement masculins. « Les femmes ont tendance à vouloir avoir la voix plus grave, c’est une nécessité car les hommes ont la voix plus grave« , nous explique Martine Guillaud, coach vocale et prise de parole.

Une étude américaine a montré qu’en politique, les électeurs ont tendance à voter plus facilement pour un ou une candidate avec la voix grave. En politique, pour se faire entendre, il faudrait parler « comme un homme ». Valérie Pécresse estime que « la voix joue beaucoup dans la persuasion ». Elle déclare dans On a les politiques qu’on mérite : « nombreuses sont les femmes qui ont ces voix aigües, éprouvantes pour faire de la politique. La mienne est plutôt grave, j’ai de la chance de ce côté-là ». Avant d’ajouter : « Mais cela reste compliqué, cela ne donne pas la même autorité, selon que vous avez du coffre ou pas« . Cela ne fait pas tout, car même si l’autorité et les compétences sont là, il y a toujours matière à critiques. « Un homme, on l’emmerde moins parce qu’on ne sait pas encore posée la question de savoir qu’est-ce qu’un homme en politique. On parle de posture et de connaissance. On est sur le fond. Une femme, il faut inévitablement qu’elle ait le fond qui soit aligné sur la forme. La femme politique on la descend, parce que c’est facile de la descendre », regrette Martine Guillaud. Cette dernière intervient auprès des députés de l’Assemblée Nationale où « 80 % des demandes des députés qui font appel à ses services sont des femmes« .

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Misogynie ordinaire et procès en illégitimité

Elisabeth Borne n’a jamais souffert de l’image de manque d’autorité. Mais, lors de ses prises de parole, elle fait l’objet de remarques sur sa voix notamment sur les réseaux sociaux. « Métallique », « froide », « automatisée », « monocorde », « désincarnée », « robotique », peut-on y lire. Ian Brossat du Parti communiste estime qu’elle a un « ton de répondeur téléphonique ». Pour Luc Ferry, « dès qu’elle ouvre la bouche, on a envie de dormir« . Une manière, inconsciente ou non, de décrédibiliser la parole des dirigeantes politiques. N’a-t-on pas dit de Margaret Thatcher qu’elle avait une voix stridente de « femme au foyer ». Avant d’accéder au poste de Premier ministre, elle a d’ailleurs dû apprendre à changer le ton et le timbre de sa voix. Un changement spectaculaire. Pour cela, elle a même fait appel à un acteur et un coach pour apprendre à moduler sa voix. C’est avec une nouvelle diction, une nouvelle élocution, une voix plus grave et « plus harmonieuse » qu’elle devient alors Première ministre.

« Etre une femme-, c’est compliqué dans un hémicycle. Il y a plus de codes vestimentaires, heureusement, mais la femme cherche sa place », souligne Martine Guillaud. S’il y a un lieu où de nombreuses polémiques sexistes éclatent, c’est à l’Assemblée nationale. Et il ne s’agit pas seulement de tenues vestimentaires. La député de la France Insoumise Mathilde Panot a été qualifiée de « poissonnière ». Une image sexiste qui, dans l’inconscient collectif, rappelle une femme incapable de tenir sa voix et ne tient pas en place. En 2013, des caquètements se font entendre lorsque Véronique Massoneau (EELV) prend la parole. En 2017, quand elle s’exprime dans l’Hémicycle, la député LREM Alice Thourot est perturbée par des bruits de basse-cour. Un de ses collègues imite le cri des chèvres. Jean-Luc Mélenchon dénonce alors de la « misogynie ordinaire » de l’Assemblée nationale.

« La folle », « La poissonnière » …

On n’entend rien ? Vraiment ?

Pour moi et pour toutes les autres, victimes du sexisme crasse de certains, je vous le dis : je ne laisserai pas passer.

J’attends une réaction immédiate du Président de l’Assemblée nationale. #StopSexisme pic.twitter.com/Mlgc3fQb4v

Derrière ces bruitages qui se font entendre ponctuellement se cache un procès en illégitimité, d’autant plus que la parité est loin d’être acquise. Après les dernières élections législatives, on dénombre 215 députés femmes. Depuis des décennies de progrès relatifs, c’est la première fois que le nombre d’élues diminue. L’hémicycle est largement dominé par les hommes. Le seul moment où elles sont en majorité, ce sont pendant les séances de nuit. Toutefois, elles restent silencieuses. Clotilde Valter du PS témoignait en 2013 dans L’Express : « Elles parlent peu, les rapporteurs des textes sont presque systématiquement des hommes… Mais ce sont pourtant bien les femmes qui font le job et qui viennent voter des textes parfois peu excitants à 23 heures« .

« Rester telles que nous sommes « 

Trop ou pas assez, bavardes ou muettes. Les voix et la parole des femmes semblent toujours critiquées. « Elles irritent car elles dérangent la norme masculine« , jugeait Clémentine Autain dans les colonnes de Libération, le 3 août dernier. Sandrine Rousseau abonde : « la politique en France est un monde d’homme créé par les hommes pour les hommes qui n’ont jamais donné aux femmes, une voix au chapitre ». Malgré tout, Yaël Braun-Pivet note un changement et constate que si les attaques sexistes existent toujours dans l’arène politique. « Elles sont objectivement de plus en plus réduites et elles doivent disparaître de la scène politique », nous dit-elle. Citant Simone Veil, elle aspire à ce que les femmes politiques soient prises en compte, avec leurs différences, sans devoir s’adapter aux modèles masculins. « Notre revendication, c’est de rester nous-mêmes et de ne pas avoir à nous adapter, ni dans nos tenues, ni dans nos comportements, ni dans nos intonations de voix… On est là en tant que femme, et on reflète, comme bien d’autres, la diversité de la société. Donc nous devons rester telles que nous sommes ».

Crédits photos : Abd Rabbo Ammar/ABACA

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