La fiction française serait-elle enfin devenue audacieuse ?

  • Deux séries mettant en scène des personnages en situation de handicap, une série sur une romance sénior dans une maison de retraite, etc.
  • La sélection du Festival de la Fiction TV de La Rochelle montre « le bouleversement » que la fiction française est en train de vivre.
  • Alors, la fiction française est-elle enfin devenue audacieuse, la réponse des professionnels de l’audiovisuel.

Il est loin le temps où la majorité des fictions françaises tournaient autour de « des meurtres, des disparitions et des secrets de famille », comme le déplorait Yves Bigot, ex-président du comité de sélection France du Festival de la Fiction TV de La Rochelle, dans nos colonnes en 2018.

Cette année, « la sélection permet d’imaginer le bouleversement qu’on est en train de vivre. Il n’y a quasiment plus aucune fiction qui ressemble à ce qu’on a connu jusqu’ici. Tout a évolué, tout a augmenté en qualité ! », s’est réjoui le président du festival, Stéphane Strano, à la conférence de presse à l’hôtel de la Monnaie à La Rochelle fin août. Exit la fiction française « plan-plan », saluait Marc Tessier, ancien président de France Télévisions et actuel président du comité de sélection France, à la conférence de presse qui s’est tenue à la SACD. Alors la fiction française serait-elle enfin devenue audacieuse ? L’avis des professionnels.

Des fictions françaises qui misent sur l’audace

« L’audace en matière de fiction, c’est d’abord d’aller sur des terrains, pas inconnus, mais peu pratiqués », estime Olivier Wotling, directeur de la fiction d’Arte France. « C’est une fiction qui pousse les murs, à la fois en matière de valeur de production, de sujet, de casting et d’originalité du récit », selon Anne Viau, directrice de la fiction de TF1.

Un coup d’œil sur la sélection montre que le PAF ne manque plus d’audace. Lycée Toulouse Lautrec (TF1) et Handicops (France TV) mettent toutes deux en scène des personnes en situation de handicap, la première des lycéens, la seconde une unité spéciale d’agents de police.

Les castings misent sur davantage d’inclusivité avec Cuisine Interne (13ème Rue), Miskina, la pauvre (Prime Video), ou Septième Ciel (OCS), romance sénior dans une maison de retraite.

Diane de Poitier (France Télévisions), Marie-Antoinette (Canal+) et Les Combattantes (TF1) dépoussièrent la fresque historique. « On a arrêté de se dire que l’histoire était ringarde », salue Victoire d’Aboville, productrice associée Bonne Pioche Story ( Groupe Bonne Pioche).

L’échangisme dans La Maison d’en face (M6), le minitel rose dans 3615 Monique (OCS), la malbouffe et la maltraitance animale avec La jeune fille au cœur de cochon (France. Tv Slash), la gastronomie franco sénégalaise dans Cuisine Interne (13ème Rue) ou le fantastique dans Vortex (France Télévisions), Prométhée (TF1) ou encore Esprit d’hiver (Arte). La télé française s’empare désormais de tous les genres et tous les sujets.

« Il y a de moins en moins de tabous », salue Victoire d’Aboville. En 2022, avec Oussekine (Disney+) ou Je te promets (TF1), on a même osé aborder guerre d’Algérie, un sujet tabou dont « on n’a jamais été aussi proche de s’emparer », constate la productrice de Bonne Pioche Story.

« C’est très varié. Il y a beaucoup plus de liberté », félicite la présidente du jury, Sandrine Bonnaire, lors d’un point presse devant une poignée de journalistes. Et même les personnages font « l’éloge absolu de l’audace, du panache », constate Victoire d’Aboville. Morgane Alvaro dans HPI ou Balthazar dans la série éponyme, en sont les « figures de proue ».

Des diffuseurs en quête d’audace

« Canal+ a toujours été audacieux, avec des séries de qualité, et qui plus est, populaires comme Engrenages », tempère Victoire d’Aboville. « Le Bureau des Légendes a été exporté dans 130 pays, et très apprécié aux Etats-Unis », rappelle Jonathan Zaccaï, réalisateur, acteur et scénariste, à l’affiche de L’Homme de nos vies.

Si certains acteurs comme Canal+, Arte, OCS, ou France TV. Slash ont ouvert la voie, le mot « audace » a désormais conquis tout le PAF. Bonne Pioche a lancé sa filiale fiction télé Bonne Pioche Story, il y a deux ans. « Je suis hypercontente d’arriver maintenant sur le marché, parce que les chaînes ne nous disent que cela : “surprenez-nous” », applaudit Victoire d’Aboville.

Même son de cloche du côté des diffuseurs. « L’audace et l’ambition sont au cœur de notre ligne éditoriale, et ce dans une variété de genres et de sujets inédite pour une chaîne ligne. C’est ce qui fait notre fierté et notre force », abonde Anne Viau, directrice de la fiction de TF1. « C’est une des missions d’Arte. J’ai le sentiment que nous avons notre singularité, mais tant mieux, si les ambitions se rejoignent avec d’autres diffuseurs pour tenter de sortir des sentiers battus », se réjouit Olivier Wotling, directeur de la fiction d’Arte France.

Une audace généralisée due à « la multiplication des diffuseurs et des projets », selon Héléna Noguerra, au casting de L’Homme de nos vies (M6), série mélangeant habilement comédie romantique, thriller et drame. « Les plateformes ont apporté un vent différent, nouveau », note Victoire d’Aboville. « La télévision a compris qu’il fallait se mettre au niveau de ce qui se fait à l’étranger. Quand on voit des belles choses qui se font ailleurs, on a envie de rejoindre cela, c’est une forme d’émulation », estime Sandrine Bonnaire.

Des spectateurs qui veulent de l’audace

Mais « l’audace ne marche que si elle rencontre son public. Comme on a plus d’audace, il faut aussi rassurer. », estime Victoire d’Aboville. Cela passe souvent par des talents connus, qui, eux aussi, misent sur l’audace, comme Audrey Fleurot, toute blonde dans le thriller angoissant aux accents fantastiques d’Arte, Esprit d’hiver. « Elle était très partante, très enthousiaste et justement, en raison de tous ses contrepieds par rapport à son public », salue Olivier Wotling.

« Nous nous adressons à un public familial, notre volonté est de fédérer un large public tout en l’emmenant hors des battus. Nous faisons des paris et il nous suit », se réjouit Anne Viau, directrice de la fiction de TF1. Et d’analyser : « C’est ce qui guide nos choix et ce qu’attend de nous le public. Il est de plus en plus amateur de séries, il est très exigeant et nous nous devons d’être à la hauteur. »

« L’audace, c’est faire confiance aux spectateurs », confirme le patron de la fiction d’Arte France, qui a présenté lors d’une conférence de presse ce jeudi les nouvelles fictions de la chaîne franco-allemande. Une programmation placée sous le signe de « l’éclectisme ». Et de développer : « On mise sur une curiosité et un appétit des spectateurs, qu’il faut peut-être éveiller ou réveiller, mais qui est là, plutôt que d’aller vers une proposition qui lui serait déjà familière », conclut Odile Vuillemin, une des héroïnes d’Un homme de nos vies.

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