Gérard Depardieu : Sacré monstre !

Plus qu’un acteur, un monument ! À 73 ans, il a tout joué, vécu, dévoré… Entre drames et gloires, sa propre histoire ressemble à un film, au format XXL.

« J’ai eu la chance de naître dans une famille pauvre, illettrée et presque moyenâgeuse », déclarait l’acteur aux journalistes du Monde venus l’interviewer en 2015, dans son hôtel particulier du 6ème arrondissement parisien. Un cadre raffiné de style Empire débordant d’œuvres d’art et de livres… Quelle revanche !

Quand il débarque en 1963 dans la capitale, l’ado traîne ses guêtres dans le Quartier latin où il rejoint ses potes chaque soir au bar du Polytech. Ce jeune mal dégrossi a suivi sa bande d’enfance qui débarque de l’Indre. Et certains rêvent de devenir comédiens… Un jour, il accompagne l’un d’eux jusqu’au théâtre Édouard VII pour une audition. Quand Gérard monte sur scène, tout le monde s’esclaffe ! Quasi mutique, il sue, gesticule et ânonne son texte… « Illettré et bégayant », tel qu’il se définira dans sa biographie, Ça s’est fait comme ça,en 2014. Si l’assistance est pliée de rire, seule une personne semble le considérer : Jean-Laurent Cochet, le professeur. Pressentant le potentiel de ce diamant brut aux allures « d’homme des bois », comme le maître de théâtre en parlera ensuite, il prend Gérard sous son aile et l’inscrit à des séances de rééducation orale. Le miracle se produit : en six mois, le jeune homme libère sa parole, découvre la beauté des grands auteurs, se met à bosser les textes et sa voix comme un dingue. Il revient de loin… Loin de Châteauroux plus précisément, où il voit le jour le 27 décembre 1948 au cœur d’une fratrie de cinq frères et sœurs. Lilette, sa mère, ne travaille pas, tentant d’élever sa marmaille sur fond de misère. Dédé, le père, est un ouvrier carrossier qui picole beaucoup… Taiseux sur les choses importantes et surtout gueulard pour un rien. « J’ai d’abord appris à crier avant de savoir parler », écrira Gérard dans Lettres volées en 1988, un livre dédié en partie à sa mère.

« J’étais illettré et bégayant… »

Il y révèle qu’elle voulait avorter de lui : « J’étais promis aux aiguilles », esquisse-t-il. Chez les Depardieu, on ne se parle pas, mais on s’écrit les maux… Quand il y grandit dans les années 50 et 60, Châteauroux n’est pas une ville de province comme les autres. Car avec la base militaire américaine et ses 20 000 GI, la cité multiplie les tentations pour un jeune désœuvré qui a quitté l’école à 13 ans. Déjà taillé comme une armoire à glace, on le retrouve dans tous les bars, toutes les bagarres, tous les trafics… Il se fait notamment de belles marges en revendant des cigarettes, de l’alcool ou des vêtements made in USA. Petit voyou, il fraye avec sa bande dont tout le monde se méfie. Parmi eux, Jacky Merveille, son grand pote, son presque frère.

Or, en avril 1968, ce fidèle allié décède à 21 ans après une sortie de route. Depardieu est dévasté. Cela aurait pu être son destin… « Je suis un survivant de mon enfance », confiera-t-il auJournal du dimanche,en 2017. Désormais, le jeune comédien n’a plus qu’une idée en tête : tourner ! Après des films avec les acteurs Jean Gabin ou Alain Delon, il obtient le rôle qui va tout changer, celui de Jean-Claude dans Les Valseuses. Malgré l’avis des producteurs, qui préviennent le réalisateur Bertrand Blier : « Avec sa gueule, il va faire peur aux femmes ». Pourtant, le personnage, voyou et libre de toute moralité, est taillé sur mesure pour l’acteur.

En 1974, la sortie du film fait scandale et devient un phénomène de société. Gérard Depardieu est né. Une allure imposante, un timbre singulier, une virilité assumée mais aussi une hypersensibilité de ton et de jeu qui inspireront Téchiné, Sautet, Duras, Truffaut, Pialat, Wajda… ou encore Jean-Paul Rappeneau. En lui offrant sur un plateau le personnage de Cyrano de Bergerac en 1990, il le fait entrer dans une autre dimension, celle de la notoriété internationale. L’année suivante, son interprétation lui vaut d’être nommé aux Oscars dans la catégorie meilleur acteur. Mais une semaine avant la cérémonie, nouveau scandale. Alors qu’il est donné gagnant, une vieille interview où il parle de sa jeunesse resurgit… Traduits en anglais dans le Time, les propos choquent : « Les filles voulaient être violées (…) Il ne faut pas en faire toute une histoire (…) Les jeunes femmes elles-mêmes se mettent dans cette situation, elles la provoquent ».

Depardieu aura beau protester, nier avoir lâché ces horreurs, le mal est fait. Le trophée ne sera pas pour lui. Depuis 2020, accusé de viol et de harcèlement sexuel par la comédienne Charlotte Arnould, il est sous le fait d’une information judiciaire et d’une mise en examen en cours d’instruction. L’expérience américaine de « Depardiou » aurait pu s’arrêter net, mais il tournera néanmoins trois films dont 1492, Christophe Colomb. Ces années 1990 seront les montagnes russes de la vie de celui qui se lance, boulimique, dans d’innombrables projets, investissements et excès de bonne chère.

En 1998, alors qu’il rejoint à moto le plateau d’Astérix et Obélix contre César, il manque un virage et se retrouve grièvement blessé. On le croit mort. Son taux d’alcoolémie expliquerait l’accident, comme de nombreux autres dérapages en scooter. Il tire sur la corde… toujours plus fort. L’année 2000 lui vaudra un quintuple pontage coronarien. Le grand drame reste à venir. Le 13 octobre 2008, son fils Guillaume s’éteint à l’hôpital de Garches, où il était soigné pour une embolie pulmonaire. En 1995, des suites d’un accident de moto, il a contracté une maladie nosocomiale qui l’a poussé, perclus de douleur, à se faire amputer de la jambe droite à 32 ans. Gérard a toujours eu des liens compliqués avec son aîné, qui a enchaîné problèmes de toxicomanie et passage en prison. Les relations sont à peine plus simples avec sa fille Julie, qui l’a un jour traité de « fardeau ». Mais aux funérailles de Guillaume, son père est fou de douleur. « Maintenant, il est libre. Guillaume est présent dans tout ce que je fais », dit-il dans Gala.

Entre excès et scandales…

Depuis, cette part de liberté semble le guider. Toscan du Plantier le qualifiait de « vague à lui seul », mû par une incroyable énergie vitale… Oui, il demeure un homme insaisissable, un acteur hors-norme, un monument en mouvement.

La vie en XXL…

Trop belles pour lui ?

C’est le 11 avril 1970 que Gérard épouse l’actrice Élisabeth Guignot, fille de polytechnicien, qui lui ouvrira les portes de la bourgeoisie. Ensemble, ils auront deux enfants, Guillaume, en 1971, et Julie, en 1973. Séparés en 1992, ils vivront un divorce à l’américaine : quatorze ans de procédure et plusieurs millions d’euros pour madame ! Entre-temps, il a eu Roxane, en 1992, avec Karine Silla, la femme de Vincent Perez aujourd’hui, puis il vit une grande passion avec Carole Bouquet, avant de rencontrer Hélène Bizot, fille d’un anthropologue, avec qui il aura un enfant, Jean, en 2006. On lui connaît depuis 2005 une relation avec la discrète Clémentine Igou, responsable marketing d’un domaine viticole en Toscane. Sans oublier ses amitiés amoureuses, avec Marguerite Duras qui l’a fait tourner ou encore Barbara dont, ému, il lit et chante les textes sur scène.

 

Obélix et Vatel, c’est bien lui !

Impossible d’être plus rabelaisien ! Pour allier plaisirs de la table et business, Depardieu a depuis longtemps misé sur des valeurs sûres. Le vin d’abord, avec ses vignobles au château de Tigné en Anjou acquis dès les années 1980, et sa société La Clé du Terroir, qui promeut de nouveaux domaines viticoles. Avec Carole Bouquet, il a acheté des vignobles à Saint-Émilion, mais aussi en Italie. Côté fourneaux, le couple avait fait sien le restaurant de coquillages L’Écaille de la Fontaine et le très chic La Fontaine Gaillon, à Paris. Par la suite, après quelques autres placements globe-trotters, le comédien a investi sa propre rue du Cherche-Midi en s’offrant un hôtel, une brasserie, une cave-restaurant et une poissonnerie nommée Moby Dick. Et c’est bien simple : dès que ça l’ennuie, il vend !

Danse avec les tzars

L’acteur qui domine le monde du cinéma est fasciné par ceux qui dirigent la planète, au risque de faire hurler les défenseurs des droits de l’homme. Qu’importe, il se veut homme de rencontres… Fidel Castro d’abord, en 1992. Il investira dans une société pétrolière cubaine et y laissera des billes. Puis, en 2012, tout s’emballe. Ayant acheté une maison en Belgique, l’acteur se voit accuser d’exil fiscal. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, juge même sa décision « assez minable ». Peut-être par bravade, Depardieu va alors cumuler les rendez-vous à l’Est où il est reçu en héros : la Tchétchénie et son sulfureux président Ramzan Kadyrov qui lui offre un appartement, l’Ouzbékistan où l’acteur enregistre un duo avec la fille du président Karimov, la Russie bien sûr car Poutine lui accorde la nationalité, la Mordovie et son président Volkov qui lui propose le poste de ministre de la Culture et une domiciliation… En 2018, il part à la rencontre de Kim Jong-un en Corée du Nord. Aujourd’hui, ouvertement opposé à la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine, Depardieu aurait des vues sur le Moyen-Orient…

Crises de fois

Sa conversion à la foi orthodoxe à la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky de Paris.

« Dieu, c’est ce que l’on en fait, c’est toi, c’est nous », confessait l’acteur au Parisien en 2016. Et il en fait surtout à sa tête. En 1967, tombant sous le charme de la voix de l’Égyptienne Oum Kalthoum, Depardieu se convertit à l’Islam qu’il pratique pendant deux ans. Puis, lassé, il s’intéresse au bouddhisme et à l’hindouisme… Pour revenir vers un christianisme très élargi. En 2003, il lit en public Les Confessions, de Saint Augustin, à Notre-Dame de Paris puis au temple protestant de l’Oratoire du Louvre. Il s’est finalement converti en 2020 à la foi orthodoxe. Le judaïsme ? Il y songerait !

Sa filmographie

1974 : LES VALSEUSES

Le duo Depardieu-Dewaere, cavaleurs en cavale, fait sensation. Bertrand Blier adapte sur pellicule son propre roman à succès.

1980 : LE DERNIER MÉTRO

10 César, dont celui du meilleur acteur pour Gérard, couronnent ce film sur fond de Paris occupé. Un chef-d’œuvre de Truffaut.

1981 : LA CHÈVRE

Devenue culte, cette comédie de Francis Veber dévoile le potentiel comique du comédien au côté d’un Pierre Richard pleurnichard.

1982 : LE RETOUR DE MARTIN GUERRE

Depardieu est-il le véritable Martin ? Basé sur une histoire vraie, ce succès des salles obscures fera l’objet d’une adaptation américaine avec Jodie Foster.

1987 : SOUS LE SOLEIL DE SATAN

En réalisant cette Palme d’or huée à Cannes, Pialat offre au comédien un rôle complexe et sensible, d’après l’œuvre de Georges Bernanos.

1988 : CAMILLE CLAUDEL“Rodin !”

Le cri d’Isabelle Adjani résonne dans les mémoires… Du sculpteur, Depardieu a la stature et garde, depuis, un goût immodéré pour cet art.

1990 : CYRANO DE BERGERAC

31 récompenses internationales pour ce long-métrage en costumes tourné dans la langue de Rostand. « Depardiou » est célébré dans le monde entier !

1992 : 1492, CHRISTOPHE COLOMB

Signé Ridley Scott, qui soutient l’acteur dans la tourmente, le film sort cinq cents ans après le premier pas de Colomb sur l’île Guanahani.

1999 : ASTÉRIX ET OBÉLIX CONTRE CÉSAR

Incarnant lui-même l’esprit gaulois, l’acteur est parfait en Obélix ! Il tournera trois autres volets, cartons du box-office.

24 AOÛT 2022 : LES VOLETS VERTS

Adapté du roman de Simenon par feu Jean-Loup Dabadie, le film présente un acteur à succès qui, se sachant condamné, revient sur sa vie… L’occasion de retrouver Fanny Ardant.

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Béatrice Nouveau

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