« Les filles préfèrent les poupées et la dinette, les garçons les voitures et les kit scientifiques » c’est biologique, c’est parce que leurs cerveaux sont différents. Voilà une affirmation que l’on a entendue pendant de nombreuses années même si de plus en plus de voix s’élèvent pour lutter contre ce genre d’assertions assenées depuis bien trop longtemps.
Pour savoir si vraiment, il est naturel que les filles préfèrent le rose et les poupons et les garçons le bleu et les garages, nous avons fait appel à des experts afin de comprendre d’où vient cette croyance et pourquoi elle perdure dans notre société.
Le cerveau a-t-il un sexe ?
Nous avons donc demandé à Catherine Vidal neurobiologiste, co-responsable du groupe de réflexion « genre et recherches en santé » au sein du Comité d’éthique de l’Inserm et directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur, si le cerveau des garçons et des filles étaient différents. Elle nous a expliqué pourquoi, oui, on peut considérer que les cerveaux masculins et féminins sont différents et ce, pour plusieurs raisons :
– Les cerveaux sont différents car il existe certaines zones du cerveau qui contrôlent les fonctions associées à la reproduction sexué. Par exemple dans le cerveau des femmes certains neurones s’activent chaque moi pour déclencher l’ovulation ce qui n’est pas le cas chez les hommes.
– D’une façon générale, en moyenne le cerveau des hommes par rapport à celui des femmes est, sur le plan du volume, 8 à 10 % plus gros statistiquement.
– De plus, des études plus détaillées ont également prouvé que si on fait le rapport entre volume du cerveau et la carrure de la personne, on trouve encore une différence où les hommes ont les plus gros cerveaux.
Cependant si l’on affine la recherche et que l’on étudie le rapport entre le volume du cerveau et le volume de la boite crânienne, il n’y a aucune différence spécifique entre le cerveau des hommes et celui des femmes. De même, si on compare des personnes avec des cerveaux équivalents, on ne trouve pas de différences de structure à l’intérieur ni dans la matière grise, ni dans la matière blanche.
Une étude américaine a confirmé cela en analysant via des IRM le cerveau de 300 bébés de 3 mois. Sur ces 300 bébés aucunes différences notables n’a été trouvée entre le cerveau des filles et celui des garçons.
D’une manière générale, les scientifiques ont comparé des milliers de cerveaux avec des moyens d’imagerie cérébrale et leur conclusion est que tous les êtres humains qu’ils soient homme ou femme ont des cerveaux différents. Il n’y a pas de région qui soit spécifique des hommes et des femmes.
Alors, oui, le cerveau est différent mais il est différent entre les êtres et non entre les genres. Mais si l’on peut observer des différences de tailles ou de constitutions dans les cerveaux, une chose est certaine ajoute Catherine Vidal en ce qui concerne la capacité cognitive c’est à dire l’intelligence, les capacités de mémoire, d’imagination ou encore de raisonnement les filles et les garçons ont, à la naissance les mêmes potentialités. Face à la persistante des idées naturalistes qui voudraient que la réalité de l’organisation sociale soit le produit de lois biologiques, il convient de lutter contre ces croyances non fondées qui laisseraient croire que depuis la naissance les cerveaux des filles et des garçons seraient câblés différemment ce qui expliquerait que les filles préfèrent les poupées et les garçons les camions et que plus tard les garçon font des sciences et des math et les filles sont dans le soin et dans l’éducation.
Si tous les cerveaux ont les mêmes capacités cognitives à la naissance, comment peut-on expliquer les différences de préférence de jeux que l’on observe plus tard chez les jeunes enfants ?
Dans son ouvrage « Nos cerveaux, tous pareils, tous différents »*, Catherine Vidal explique Les études sur le comportement des bébés vis-à-vis des jouets qui leur sont présentés ne montrent pas de différences entre les sexes à l’âge de 3 mois. Les différences émergent vers 10 mois. Elles sont très marquées à 3 ans.
Alors, que se passe-t-il entre la naissance et 3 ans pour que des préférences très genrées se mettent en place dans le cerveau de nos enfants ? Il se passe que le bébé n’évolue pas dans un environnement neutre et totalement égalitaire. Dès les premiers mois de la vie le bébé reçoit des influences environnementales de la part de ses parents, des personnes qui s’occupent de lui, de sa fratrie… Des études ont observé que l’on s’adressait, que l’on portait ou que l’on souriait différemment à un bébé suivant qu’il soit un garçon ou une fille et cela contribue à son développement et s’ancre dans son cerveau. Selon Catherine Vidal, la plasticité cérébrale, fait que l’environnement physique, culturel, familial et économique dans lequel un enfant se grandit va influencer la façon dont le cerveau se développe.
Par exemple, une étude a comptabilisé le nombre de jouets à roues présents dans des chambres d’enfants de la naissance à l’âge de 5 ans. Cette étude a révélé qu’il y en avait « 375 dans les chambres de garçons et 17 dans celles des filles »*. Il est certain que dans ces conditions, les petits garçons, habitués dès leur plus jeune âge à jouer avec des jouets à roues seront plus attirés par eux que les petites filles.
On comprend donc bien que les parents, les pairs, les amis, le corps enseignant, la famille, la fratrie influencent consciemment ou non les enfants dans leurs choix Il y a vraiment un gap entre les enfants en crèche et les enfants à l’école insiste Amandine Berton-Schmitt – Diplômée en Sciences politiques et en étude de genre et chargée de mission Éducation au Centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes – car ils grandissent et le rapport aux pairs fait qu’ils absorbent les représentations qu’il y a autour d’eux.
Comment explique-t-on l’émergence de cette différentiation filles et garçons dans le monde du jouet ?
Cette sectorisation date des années 80 mais elle s’intensifie dans les années 90 avec une séparation de plus en plus rigide entre les sexes. Pourquoi ? Selon Amandine Berton-Schmitt à partir du moment où les familles ont eu moins d’enfant, il a fallu trouver des façons de faire acheter davantage. Et comment faire racheter des vélos, des jeux, des vêtements alors même qu’on en avait déjà sous la main ? En sectorisant et en segmentant le plus possible. L’arrivée sur le marché des licences n’a fait qu’aggraver grandement cette dichotomie entre les jouets pour les filles et les jouets pour les garçons en fléchant ce qui est pour les uns et pour les autres.
Et la société à parfaitement adhéré à ces injonctions marketing. Les parents ont facilement adopté cette différence et les jouets issus des licences ont désormais la part belle sous les sapins de Noël : Cars et Ninjago pour les petits garçons, Friends et Hatchimals pour les petites filles. Et rares sont les parents qui seraient enclins à acheter une dinette rose ou une Barbie pour leur fils même si la majorité d’entre eux offriraient sans trop de problème un déguisement d’astronaute pour leur fille,
Alors comment expliquer que c’est plus compliqué pour un parent d’offrir un jouet rose à un garçon qu’un jouet bleu à une fille ?
Amandine Berton-Schmitt a une explication pour nous : Cela témoigne du coût social qui va être plus fort pour un petit garçon qui va s’intéresser aux domaines associés « traditionnellement au féminin ». En effet c’est toujours plus facile d’aller du côté de ce qui est valorisé et aujourd’hui, c’est plus valorisé de construire un robot et de bricoler que de s’occuper d’un bébé. Malheureusement on constate que l’on valorise davantage les trajectoires qui vont vers le valorisé donc vers ce qui est connoté comme masculin. Alors quand le petit garçon va vers quelque chose qui est « dégradé » (comme le pouponnage), qui a moins de valeur sociale, il le paye en termes de coût au sens sociologique du terme. Son goût pour ce qui est attribué à tort au féminin devient « honteux ». Pourquoi c’est plus compliqué ? parce que le coût social est plus fort et que les parents l’anticipent même si c’est inconscient.
On trouve une autre preuve de cela dans le langage : pour une fille qui s’intéresse aux « trucs de mecs » on parle de « garçon manqué ». C’est une expression tout à fait insatisfaisante mais elle existe alors que quand on parle d’un petit garçon qui s’intéresse aux « trucs de filles », c’est une insulte homophobe qui vient dans le langage courant. Expression insatisfaisante vs insulte homophobe, le coût social est très fort.
En crèche on voit bien qu’il y a parfois une angoisse démesurée de certains parents et notamment de certains papas qui font un lien tout à fait artificiel entre ouvrir le champ des possibles de leur enfant, leur laisser la possibilité de s’approprier des éléments qui sont plus souvent attribués à l’autre sexe et une suspicion d’homosexualité alors que l’on sait très bien que ça n’a rien à voir et que quand bien même on doit laisser aux enfants toutes les possibilités à s’épanouir.
Pourquoi cette distinction jouet de fille et jouet de garçon est-elle problématique ?
Cette catégorisation est un problème parce que l’on conditionne les enfants et on les met dès le plus jeune âge dans des cases et ce n’est pas ce dont ils ont besoin pour se développer de façon le plus équilibré possible en leur offrant le maximum d’opportunités.
Amandine Berton-Schmitt complète : Le critère n°1 d’achat de jouet c’est l’âge et, à part pour les jouets 1er âge qui sont mis à part, dans les rayons des magasins, on a aucun moyen de distinguer les jouets adaptés aux enfants par âge. De même dans toute la société on réfléchit en termes de compétences ou de goûts mais lorsqu’il s’agit de jouets on réfléchit en terme de genre. Ça n’a pas de sens, c’est une paresse de l’esprit. Une norme qui engendre de la norme et qui fait que l’on va vendre plus facilement ces objets.
Un jouet est avant fait pour jouer, c’est un objet d’épanouissement. Ça ne viendrait pas à l’idée d’interdire à un enfant de faire telle ou telle activité, de développer telle ou telle compétence, d’essayer telle ou telle chose donc permettre aux enfants de choisir leurs jouets comme ils l’entendent ça serait déjà une première étape.
La bonne nouvelle c’est que même si on a été baigné par des stéréotypes très forts ce n’est pas immuable. En fonction de nos expériences, des nouvelles connexions se font et d’autres disparaissent, le cerveau s’adapte. C’est l’expérience de vie qui l’emporte sur un conditionnement précoce, conclue Catherine Vidal.
Comment faire pour, concrètement, inverser la tendance ?
Pour essayer d’inverser la tendance, il serait bien d’expliquer, d’encourager et de dénoncer.
Expliquer
- Expliquer aux enseignants, au personnel de crèche, aux parents, que les enfants se conforment à ce qu’ils entendent, à ce qu’ils voient dans la société et qu’il faut, dès tout petits leur proposer des modèles égalitaires et non genrés afin de leur ouvrir au maximum le champ des possibles.
- Il faut également aider les professionnels et les parent à repérer les pressions, les normes qui peuvent peser sur les enfants c’est important de décrypter ces mécanismes de catégorisation très rigides pour ensuite essayer de s’en départir complète Amandine Berton-Schmitt.
- Expliquer qu’il est extrêmement important que, dès le plus jeune âge, à la maison et à l’école, il puisse y avoir des jeux qui soient le plus possible mixtes, que les enfants aient des activités filles et garçons mêlés.
- Expliquer qu’il faut proposer aux enfants des jouets de toutes sortes, de toutes les couleurs sans avis préconçus et idées toutes faites.
- Expliquer aux marques qu’il ne faut pas ignorer la demande des familles les plus égalitaires. Ajoute Amandine Berton-Schmitt, qu’il y a une vraie demande de la part des familles progressistes qui en ont assez de cette répartition hyper normée et qui ont envie d’acheter des choses variées, épanouissantes, des déguisements qui ne soient pas que des licences. Ouvrir quant aux représentations de genre mais ouvrir de manière beaucoup plus générale l’imaginaire et c’est ce que permet la sortie des stéréotypes.
Dénoncer
- Dénoncer les jouets stéréotypés.
- Dénoncer les jouets genrés comme ce robot qui existe en bleu pour les garçons et en rose pour les filles, épinglé sur l’instagram de Pépites sexistes ou cet autre sur le compte anglais Let toys be toys.
- Dénoncer la taxe rose qui fait que pour deux jouets identiques, un à destination du genre féminin et l’autre à destination du genre masculin celui destiné aux filles sera plus cher.
- Dénoncer les manuels scolaires qui bien trop souvent font la part belle aux hommes et participent à l’invisibilisation et la sous-représentation des femmes.
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