INTERVIEW – Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée : « Mes enfants m’équilibrent profondément »

Pour la première fois depuis 1958, une femme préside l’Assemblée nationale. Au perchoir depuis le 28 juin dernier, Yaël Braun-Pivet est confrontée à un double défi. Diriger un hémicycle divisé sans trop sacrifier sa vie familiale. Ce mardi 9 août, elle a confié son goût acharné pour le travail et son dévouement pour ses enfants à Gala.fr.

Son élection est historique. Le 28 juin dernier, soixante-quatre ans après la promulgation de la Ve République, Yaël Braun-Pivet devenait la première présidente de l’Assemblée nationale. Un défi conséquent. Cette Macroniste de la première heure, inconnue avant son premier mandat de député en 2017, doit régner sur un hémicycle divisé. Comment gère-t-elle sa nouvelle fonction ? Quelles sont les racines familiales qui l’ancrent ? À l’heure de plier bagage pour les vacances parlementaires, cette mère de cinq enfants a accordé à Gala.fr une rare interview.

Gala.fr : Vous venez d’entrer dans l’Histoire en devenant la première femme à présider l’Assemblée nationale. Comment vous sentez-vous ?

Yaël Braun-Pivet : Je me sens sereine et très consciente de la responsabilité immense qui m’incombe. L’Assemblée nationale est le cœur de notre vie démocratique. Il me revient la mission de la faire fonctionner pour qu’elle soit la plus utile à nos compatriotes. C’est un défi très important à relever.

Qu’est-ce qui vous fait peur dans cette nouvelle fonction ?

Je crois que rien ne me fait peur aujourd’hui. En revanche, j’ai vraiment le souci d’être utile dans chaque action que je conduis. Ce qui pourrait m’effrayer, c’est de ne servir à rien… Je veux avoir des résultats. Je veux que l’Assemblée nationale redevienne l’endroit où le débat politique a toute sa place dans l’intérêt des Français.

Vous êtes confrontée à de nombreux défis à l’Assemblée, où le parti présidentiel n’a plus qu’une majorité relative. En quoi votre personnalité vous aide-t-elle à travailler et à avancer ?

J’aime par-dessus tout construire du consensus. Dans une Assemblée où nous n’avons pas de majorité absolue et qui n’a jamais été aussi éclatée politiquement, il est très important que les groupes dialoguent entre eux et avec le gouvernement. Faire vivre ce débat apaisé pour que le pays se réforme et pour que nos compatriotes vivent mieux… C’est comme cela que j’envisage mon rôle.

Lors de votre premier discours au Perchoir, vous avez évoqué votre grand-père. Il était polonais, juif, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Vous avez grandi et étudié en France dans un milieu modeste. Comment cette histoire familiale vous a-t-elle forgée ?

Il y a eu beaucoup d’amour et de confiance en l’humain, la France et l’avenir. Cette confiance, ce respect, cet amour permettent de gravir des montagnes. Cela m’a appris aussi à ne pas juger sur les apparences, les études ou le statut social. La vraie valeur des gens est ailleurs.

Que dirait la petite fille que vous étiez en vous voyant aujourd’hui ?

Elle serait fière de ma prise de risque. Elle prouve qu’avec de la détermination, on est capable de suivre son chemin. C’est le message important à transmettre à ses enfants : « En travaillant, en prenant ton risque et en saisissant ta chance, tu peux y arriver. Rien n’est impossible.« 

La présidence de l’Assemblée nationale, vous l’aviez rêvée ?

J’en ai rêvé en étant députée, pas depuis toute petite. Quand j’ai commencé mon premier mandat, je suis tombée amoureuse du Parlement. Toutes les forces politiques sont réunies pour débattre, dialoguer, proposer… J’ai trouvé que cet espace, où notre démocratie s’exprime très concrètement, était très représentatif de notre pays. Je suis aujourd’hui très fière de porter cette mission qui m’a toujours importée et de faire partie de ceux qui vont contribuer à renouer la confiance, je l’espère, entre les citoyens et le politique.

« Mon époux assume la fameuse charge mentale »

Avant de vous engager en politique, vous vous êtes consacrée à votre famille. Vous avez notamment accompagné votre époux à Taïwan, au Japon et au Portugal, où il a été expatrié pour raisons professionnelles. S’agissait-il d’une volonté d’éduquer vos enfants avant de vous concentrer sur votre carrière ?

Quand on poursuit des carrières, le temps pour la famille se réduit à peau de chagrin. Or, plus elles avancent, plus la famille grandit. Nous avons fait le choix de partir à l’étranger. J’ai pu grâce à cela construire et agrandir cette famille, puisque deux de nos enfants y sont nés. Ce temps ensemble a été très important pour assurer des fondations très solides, dont une famille a besoin et sur lesquelles elle peut s’appuyer pour avancer.

Votre époux depuis 2003, Vianney Pivet, est cadre chez L’Oréal. Est-il prêt à mettre sa carrière de côté pour vous soutenir dans votre nouvelle fonction ?

Il n’a pas besoin de mettre sa carrière de côté, car nos enfants ont grandi. Mais, depuis cinq ans que je suis élue, il assume la fameuse « charge mentale ». C’est indispensable pour toute la famille. C’est ce qui me permet de mener cette carrière politique. Il faut être souple. Ces équilibres sont une affaire de moments, de personnalités et d’opportunités.

Ce choix de se consacrer à sa maternité avant sa carrière, certaines femmes le considèrent comme un sacrifice… Avez-vous des regrets ?

Chaque femme est légitime à penser et à faire ce qu’elle souhaite faire. La liberté d’une femme, c’est de pouvoir choisir sa façon d’être femme, sa façon d’être (ou de ne pas être) mère, sa façon de faire carrière… C’est éminemment personnel. Moi, je suis très heureuse d’avoir consacré ces années à mes enfants. C’est probablement parce que je l’ai fait que je me sens aussi libre et aussi soutenue par eux aujourd’hui.

Qui dit cinq enfants, dit mère de famille nombreuse. Est-ce que cela influe sur votre manière d’être en fonction ?

Je ne sais pas si cela influe sur ma manière d’être. Ce qui est sûr, c’est que ça m’équilibre profondément.

Craignez-vous la violence du monde politique pour vos proches ?

Je ne la redoute pas, car les gens autour de nous sont extrêmement bienveillants. Au contraire. Cela leur montre à quel point c’est important d’être dans une collectivité, de s’engager et de prendre sa part. À ce jour, ils n’ont jamais eu à souffrir en raison de mon engagement politique.

« On a brisé un plafond de verre institutionnel avec la nomination d’Élisabeth Borne et mon élection »

La Première ministre, Élisabeth Borne, a dédié sa nomination « à toutes les petites filles ». La vôtre, à qui l’offrez-vous ?

J’ai envie de la dédier à tous nos jeunes. Beaucoup de choses forgent un destin. Il y a le travail, les capacités, la chance… Mais ce qui est primordial, c’est de se dire à soi que c’est possible et d’en être convaincu. Si vous possédez cette confiance en vous là, cela vous donne une grande force… C’est le cadeau le plus précieux que ceux qui vous éduquent puissent vous donner.

Qu’elles le veuillent ou non, les personnalités politiques féminines sont particulièrement scrutées et prises à partie lorsque l’égalité homme-femme est évoquée… Qu’en pensez-vous ?

L’élection à la présidence de l’Assemblée est toujours un moment politique important. On en aurait parlé, même si je n’avais pas été une femme. Mais, le message qu’il faut envoyer aujourd’hui, c’est que l’on a brisé un plafond de verre institutionnel avec la nomination d’Élisabeth Borne et mon élection. C’est une étape, ce n’est pas la dernière, mais elle est à mon sens majeure.

Vous définiriez-vous comme féministe ?

Pour moi, le féminisme, c’est la phrase de Simone Veil : « Ma revendication en tant que femme, c’est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas obligée de m’adapter aux modèles masculins. «  C’est être dans cette vision du « tout est possible » pour une femme ou pour un homme, sans que la femme soit obligée d’être dans un moule qui n’est pas le sien. Le féminisme, à mon sens, c’est cette capacité à être égale tout en étant différente.

En revenant en France en 2012, vous vous engagez auprès des Restos du cœur. Qu’est-ce que ce choix dit de vous ?

Une envie profonde d’être utile, de s’engager pour autrui, d’avoir des résultats. Quand vous dirigez un centre, les questionnements le matin sont extrêmement concrets. Est-ce que tous mes bénévoles sont là ? Est-ce que les bénéficiaires se sentent bien accueillis et respectés ? Est-ce que mes frigos sont pleins pour faire suffisamment de distributions alimentaires ? Cela vous ancre dans la réalité des rapports humains. Ce ne sont pas des dossiers ou des grands chiffres. C’est la vie, avec des gens qui sont en face de vous et qui vous regardent.

Vous avez gardé des liens avec ceux auprès de qui vous travailliez ?

J’y vais de temps en temps, pas aussi souvent que je le souhaiterais. Mais je continue à faire la collecte annuelle ou des petits événements. C’est toujours beaucoup de plaisir, car ce sont des bénévoles que je connais, que j’ai recrutés parfois, avec lesquels on a ça en partage et qui trouvent que je n’ai pas beaucoup changé (rires). C’est plutôt rassurant.

Une présidente de l’Assemblée « mère poule »

Quand vous étiez présidente de la commission des lois, vous disiez déjà « passer six jours sur sept » à l’Assemblée nationale… Maintenant, vous allez y dormir ?

Je continue à vivre dans ma maison, avec mes enfants. Évidemment, présider l’Assemblée nationale est une fonction qui demande beaucoup de travail. Mais je ne fais pas partie de ceux qui se plaignent. Je sais que chaque minute que je vais y passer doit être utile. Vous allez dire que je me répète, mais c’est une obsession pour moi. J’y mettrai toute mon énergie, parce que je sais que cette action peut servir la cause démocratique.

Pourquoi avez-vous décidé de ne pas déménager à l’hôtel de Lassay ?

Mes enfants vont toujours à l’école. Je veux qu’ils gardent leurs vies d’adolescents telles qu’elles sont aujourd’hui. J’ai aussi des plus grands, qui vont, qui viennent, et donc c’est mieux ainsi.

Justement, comment organisez-vous votre emploi du temps pour disposer de temps privilégiés avec vos enfants ?

Quelle que soit l’heure à laquelle je rentre, j’ai toujours un temps pour mes enfants. Au moins pour les embrasser alors qu’ils sont grands !

Ce sont les gestes d’une maman…

Exactement.

Vous aurez peu de temps pour vous ces cinq prochaines années… Qu’est-ce qui vous manquera particulièrement ?

Ce qui me manque le plus depuis que je suis élue, en mère poule que je suis, c’est le temps que je passe avec mes enfants. Forcément, il s’est beaucoup réduit…

Le soir de votre intronisation, vos enfants étaient présents. Quelles émotions avez-vous lues sur leurs visages ?

Ils étaient extrêmement fiers. J’ai une fille qui pleurait. Depuis des années, on parlait institution, démocratie, Parlement… Je peux même dire que je les saoulais avec ces sujets parce que ça me passionnait réellement. Donc, forcément, ça déteint sur les déjeuners ou les dîners de famille. Mais grâce à cela, ils ont vécu le cheminement qui m’a conduite ici. Ils ont partagé ce moment avec moi. Ils ne se sentaient pas extérieurs et c’est ça que j’ai aimé.

« Mes parents sont très fiers et un peu scotchés »

Vos parents à vous, quelles ont été leurs réactions en apprenant votre élection au Perchoir ?

Comme tout parents, ils sont très fiers et… un peu scotchés.

Ils n’ont pas eu peur ?

Non, ils ont confiance. Ça arrive à un moment de ma vie où j’ai suffisamment d’expériences et de recul.

Quand une crise viendra, quel sera votre premier réflexe ? Est-ce qu’un geste, une habitude ou une odeur vous rassure inévitablement ?

Pas forcément. J’ai le sentiment que plus la crise est forte, plus je suis sereine. J’arrive à puiser en moi pour être en capacité d’apprécier les choses. Je n’ai besoin de rien pour être dans cet état-là. C’est ma façon d’appréhender les situations de crise.

Où irez-vous vous reposer durant les vacances parlementaires ?

En Bretagne, en famille.

Pensez-vous réussir à couper ou allumerez-vous inévitablement votre ordinateur au bord de la piscine ?

Le seul moment où j’arrive à couper, c’est quand je suis en bateau. J’aime beaucoup faire du voilier. Je pose mon téléphone quand je monte à bord et je le reprends quand je descends. Le reste du temps, malheureusement, je continue à être connectée comme de nombreux Français aujourd’hui. On a du mal à décrocher complètement…

Ce sont des escapades en mer de quelques heures ?

Ce qui est déjà pas mal. Royal (rires) !

Crédits photos : Assemblée nationale

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  1. Yaël Braun-Pivet

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