Avortement aux États-Unis : l'histoire de Norma McCorvey, alias "Jane Roe", derrière l'arrêt Roe v. Wade

  • "Jane Roe", jeune mère célibataire, contre Henry Wade, procureur de Dallas
  • 22 janvier 1973 : la décision de la Cour Suprême
  • Norma McCorvey, figure du droit à l’avortement devenue militante anti-IVG
  • Norma McCorvey aurait été payée par des anti-IVG

Inoubliable et stupéfiant vendredi 24 juin 2022. Ce jour-là, la Cour suprême des États-Unis a annulé l’arrêt historique Roe v. Wade (ou « Roe vs Wade ») qui garantissait aux Américaines l’accès à l’IVG jusqu’à six semaines de grossesse, sur tout le territoire. La compétence d’autoriser ou interdire l’avortement revient désormais à chaque État. Comme avant 1973 et la promulgation de ce célèbre arrêt. 

« Jane Roe », jeune mère célibataire, contre Henry Wade, procureur de Dallas

Il faut en réalité rembobiner jusqu’en 1969.

Norma McCorvey vit au Texas. Elle est âgée de 22 ans, célibataire et sans emploi, lorsqu’elle tombe enceinte pour la troisième fois, rappelait l’agence de presse internationale Associated Press en 2017.

La vingtenaire, qui a confié le premier enfant à sa mère, le second, en adoption, souhaite avorter. Ce que la loi de l’État où elle réside interdit. À l’époque, au Texas, l’IVG est un crime, sauf si la grossesse met en danger la vie de la femme enceinte. 

Mais Norma McCorvey n’a pas les moyens de se rendre dans l’un des quatre États – sur 50 – qui autorise à cette époque l’IVG.

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Via l’avocate qui s’est chargée de l’adoption, elle rencontre Sarah Weddington et Linda Coffee, comme elle le raconte dans son autobiographie I am Roe (Je suis Roe), parue en 1994. Ces deux avocates engagées pour le droit à l’avortement tiennent là leur affaire, celle qu’elles pourront transformer en procès politique pour faire évoluer la loi.

Leur axe de défense ? L’inconstitutionnalité des lois anti-avortement du Texas. Celles-ci contredisent plusieurs articles de la Constitution des États-Unis, plaident les avocates de Norma McCorvey, notamment le quatorzième amendement, sur le droit au respect de la vie privée.

En 1970, Linda Coffee dépose une plainte au tribunal de Dallas au nom de « Jane Roe » – célèbre pseudonyme utilisé afin de protéger l’identité de la plaignante -, contre Henry Wade, procureur de la ville.

Ce dernier remporte le procès devant la cour fédérale. Mais les trois femmes font appel de cette décision de justice : l’affaire est désormais entre les mains de la plus haute juridiction du pays, la Cour Suprême.

22 janvier 1973 : la décision de la Cour Suprême

Les neuf juges entendent les parties à deux reprises, mais laissent passer la Présidentielle américaine de novembre 1972 – et la réélection de Richard Nixon – pour annoncer leur verdict.

Le 22 janvier 1973, par sept voix contre deux, les magistrats donnent raison à Norma McCorvey et ses avocates, qui ont opté pour la bonne stratégie de défense. Car « le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14e amendement de la Constitution […] est suffisamment vaste pour s’appliquer à la décision d’une femme de mettre fin ou non à sa grossesse », déclare la Cour Suprême.

« Une loi du type de celle du Texas qui fait de l’avortement un crime, sauf quand la vie de la mère est en danger, sans tenir compte du stade de la grossesse ni des autres intérêts en jeu, viole le 14e amendement de la Constitution », tranchent les juges. Qui appuient : « À un certain stade, les intérêts de l’État et la protection de la santé, des critères médicaux et de la vie prénatale deviennent dominants ».

Statuer sur l’inconstitutionnalité de la législation anti-IVG texane fait alors jurisprudence dans le reste du pays. La décision de la Cour suprême s’applique aux 45 autres États sur 50 qui interdisent à l’époque l’accès à l’avortement. 

C’est ainsi que la Haute Cour protégeait ce droit pour les Américaines depuis 1973, et ce, quel que soit leur État de résidence. Jusqu’à la révocation de cet arrêt fin juin dernier…

Le documentaire Roe v. Wade  : la véritable histoire de l’avortement, produit par Eva Longoria et disponible sur Netflix, retrace le combat des deux avocates de Norma McCorvey et celui de féministes Américaines, comme l’icône Gloria Steinem, qui y apparaît, pour les droits des femmes à disposer de leurs corps. Réalisé en 2018, il se révèle être aujourd’hui un document essentiel pour réaliser l’ampleur des mouvements anti-avortements outre-Atlantique, ces cinquante dernières années.

Norma McCorvey, figure du droit à l’avortement devenue militante anti-IVG

Qu’est devenue Norma McCorvey, alias Jane Roe ? Du fait de la lenteur de la procédure juridique, elle n’a pu avorter, et a donné naissance à une fille en juin 1970, qui a été adoptée.

Lorsqu’elle sort de l’anonymat dans les années 1980, l’autrice d’I am Roe déclare avoir menti en affirmant que cette troisième grossesse était le résultat d’un viol.

À cette époque, elle défend ardemment le droit à l’avortement, et travaille même quelques temps dans une clinique à Dallas, où des IVG sont pratiquées.

Mais quelques années plus tard, Norma McCorvey, convertie au protestantisme évangélique puis au catholicisme, devient une figure du mouvement anti-avortement.

« Je ne crois pas à l’avortement, même dans une situation extrême. Si la femme est fécondée par un violeur, c’est toujours un enfant. Vous ne devez pas agir comme votre propre Dieu », lance-t-elle en 1998 à l’Associated Press.

Norma McCorvey aurait été payée par des anti-IVG

Celle que l’Amérique connaît sous le pseudonyme de Jane Roe sillonne le pays pour dénoncer la pratique et dépose même un recours contre l’arrêt Roe v. Wade, que la Cour Suprême rejette, en 2005.

Quatre ans plus tard, Norma McCorvey est arrêtée pour violation de domicile après avoir manifesté lors du discours de Barack Obama, alors président des États-Unis, invité à l’université de Notre-Dame, dans l’Indiana.

Elle fait de nouveau volte-face quelques mois avant sa disparition le 18 février 2017, à l’âge de 69 ans, à la suite d’une insuffisance cardiaque. Dans un documentaire intitulé AKA Jane Roe, diffusé en 2020 sur la chaîne américain FX, mais enregistré peu de temps avant son décès trois ans auparavant, Norma McCorvey affirme avoir été payée par des organisations anti-IVG pour défendre publiquement leurs positions.

« C’était mutuel. J’ai pris leur argent et ils m’ont mis devant les caméras et m’ont dit quoi dire, et c’est ce que je disais », lâche-t-elle au réalisateur Nick Sweeney. « Tout cela était-il un numéro ? », l’interroge-t-il, quelque peu interloqué. « Oui, et j’ai bien joué. Je suis une bonne actrice, bien sûr je ne joue pas en ce moment », rétorque l’interviewée. Sa dernière « confession sur son lit de mort », selon son expression.

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