INTERVIEW – Clémentine Autain : “Mes enfants me reprochent souvent de ne parler que de politique”

À l’occasion de la sortie de son roman « Assemblées » (ed. Grasset), Clémentine Autain a accepté de répondre aux questions de Gala.fr. Son livre, sa vie de famille, son regard sur le monde politique… La figure des Insoumis se confie avec la liberté qu’on lui connaît.

Clémentine Autain n’a pas vraiment le temps de souffler. En plus d’être l’une des députées les plus en vue au sein de la Nupes, celle qui a récemment été réélue haut la main en Seine-Saint-Denis vient de faire son retour en libraires. Mais cette fois, ce n’est pas pour un essai politique ou un récit personnel : Assemblées (ed. Grasset) est une fiction qui nous plonge dans l’histoire complexe de trois femmes aveuglées par leur passion pour un député quadragénaire en pleine ascension. Un premier roman permettant à l’Insoumise d’évoquer les rapports de séduction, à l’heure de Me Too, mais aussi certains travers du monde politique qu’elle fréquente depuis plus de 20 ans. C’est ce qu’elle explique aujourd’hui à Gala, entre deux confidences sur sa vie personnelle et même ses clash avec Rachida Dati.

Gala.fr : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire « Assemblées » ?

Clémentine Autain : Depuis très longtemps, j’avais envie de traiter la question du rapport au désir et au pouvoir. Je voulais parler de la complexité de cet entre-deux qu’est la période politique d’après Me Too pour les femmes. Je n’ai pas trouvé d’autres formes que la fiction, qui permet de donner à voir les contradictions, les tensions.

Vous avez récemment confié vous retrouver dans les trois personnages principaux (Lila, Estelle et Jeanne). Mais duquel êtes-vous la plus proche ?

Il faut bien me connaître pour savoir où je suis dans chacune des trois ! J’aurais du mal à trancher, je dirais que je suis même dans d’autres personnages. Voire sans doute dans Antoine (rires). J’ironise, mais il y a sans doute des similitudes sur le rapport au temps, comme je suis également députée. En tout cas, les projections des uns et des autres me font beaucoup rire. Même mes proches essayent de trouver qui correspond à qui !

De quelle réalité avez-vous voulu parler avec ce livre ?

Mon sujet, c’est comment des femmes apparemment libres, et autonomes financièrement, sont prises par une attirance qui les déstabilise, qui les rend insatisfaites. Elles se retrouvent dans des schémas classiques de relations de séduction avec des hommes de pouvoir qui aiment dominer, qu’elles attendent, qui ne sont pas attentionnés.

Pourquoi est-on encore dans ces schémas ?

Il ne suffit pas d’une loi sur l’égalité pour changer nos imaginaires. Ce qu’il faut atteindre est beaucoup plus profond. L’un des freins, c’est aussi tout l’imaginaire culturel intériorisé depuis notre plus jeune âge, et qui fait que, y compris dans nos propres fantasmes, tout est pétri d’asymétrie, de différences hiérarchisées entre les désirs masculins et les désirs féminins. J’ai aussi voulu montrer à quel point nous, en tant que femmes, nous contribuons de fait, par nos comportements et nos attentes pas toujours conscientes, à faire se perpétrer ces normes de désir, de rapports au pouvoir.

Vous montrez toutefois que les choses changent.

Oui, ces trois femmes ne sont pas satisfaites et ne se laissent pas marcher sur les pieds. Donc il y a quelque chose qui, déjà, a changé. Elles se rebellent d’une certaine manière, elles n’acceptent pas cet Antoine qui n’est pas aimable et reste dans les canons traditionnels de l’homme de pouvoir qui collectionne les femmes et n’a pas de temps pour elles. En même temps, elles sont attirées par lui et donc aussi par cette forme de relation. Cela m’intéressait de montrer cette réalité, qui n’est pas propre au monde politique, pour que les hommes et les femmes puissent mieux les cerner et les déjouer.

Dans votre roman, vous évoquez des accusations de harcèlement conjugal visant un député et la loi du silence qui perdure. L’affaire Abad a aussi mis en lumière cette forme d’omerta…

Oui, en toile de fond, je voulais aussi raconter le sexisme dans cet univers de pouvoir qu’est la politique et l’entre-soi masculin, avec sa part de silence sur des faits de violence.

Sur le plan de l’égalité femmes-hommes, qui avait été érigée en « grande cause nationale » par Emmanuel Macron, comment voyez-vous ce début de deuxième mandat ?

Pour l’instant, ça commence très très mal. Monsieur Abad, en dépit de plaintes pour des graves faits de violences faites aux femmes, a longtemps été maintenu. Cela montre le peu d’intérêt concrètement porté à la cause des femmes.

Des femmes ont cependant été nommées à des postes clés. Qu’en pensez-vous ?

Je dirais qu’il était temps. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Même si ce sont de bonnes nouvelles, fussent-elles tardives, que des femmes occupent des postes de responsabilités de premier plan.

Avez-vous vraiment senti un changement depuis vos débuts ?

Oui. D’abord, la présence de femmes change tout. C’est-à-dire que quand on est 10 ou 20% et qu’on passe à 40, forcément, le climat est très différent. Et vous ajoutez à ça, la vague féministe liée à Me Too, ça donne quand même un changement assez important que moi j’ai vécu à l’échelle de 25 années. À l’époque, j’étais une jeune femme, sans responsabilité, on me renvoyait à mon physique. Et puis on subit le plafond de verre, ça, je l’ai souvent ressenti. Pour moi et pour d’autres.

« C’est mieux de s’intéresser à la politique quand on vit avec moi »

Pour en revenir à des choses plus personnelles, faut-il aimer la politique pour être en couple avec vous ? Votre mari est un militant insoumis, et votre ex-mari Mikaël Garnier-Lavalley faisait aussi de la politique…

C’est vrai que c’est mieux de s’intéresser à la politique quand on vit avec moi !

Et il vaut mieux être de gauche j’imagine…

Mon ex-mari était socialiste. Nous ne venions pas de la même gauche mais c’est vrai que je ne me vois pas vivre avec un homme de droite !

Comme Lila, cela aurait pu vous arriver ?

Non, jamais. Mais je n’en fais pas une règle de vie.

Qu’a pensé votre mari du livre ?

Il a beaucoup aimé.

A-t-il cherché à reconnaître des éléments de votre vie ?

Non, il me connaît suffisamment pour savoir ! Je n’ai pas raconté une histoire vraie. J’ai fabriqué des histoires. Donc après, certains faits sont inspirés directement de la réalité, et plein d’autres non. En tout cas, l’homme qui partage ma vie est en capacité de faire le tri sur l’essentiel.

Je crois avoir lu dans une interview que c’était un homme « déconstruit ».

Non ! Il se moque de moi d’ailleurs pour ça… Ce n’est pas ce que j’ai dit. On m’a fait réagir à une phrase de Sandrine Rousseau et j’ai validé le fait que oui, c’était important pour les hommes de faire ce travail de déconstruction.

Pourquoi s’est-il moqué ?

Parce qu’il ne se définit pas du tout comme un homme déconstruit, donc ça l’a fait beaucoup rire. Avec lui, c’est plutôt l’égalité en actes.

Comment l’avez-vous rencontré ?

Dans un cadre politique.

J’imagine que ça parle donc beaucoup de politique à la maison…

Oui, les enfants (elle vit en famille recomposée avec quatre enfants, ndlr) nous reprochent souvent de ne parler que de politique ! Ce qui est très exagéré (rires).

Ça ne les intéresse pas pour le moment ?

Plus ou moins, ça dépend des âges ! Parfois, ils ont quand même raison de nous dire de décrocher un peu. C’est bien de déconnecter !

Dans un registre plus léger, le livre parle aussi beaucoup d’adultère. Lorsque l’on est infidèle, vous conseillez de mentir ou de dire la vérité ?

Je suis incapable de faire la moindre leçon de morale sur le sujet. Chacun fait ce qu’il veut et surtout comme il peut (rires). Ce n’est ni mon rôle ni mon ambition que de donner le moindre conseil sur un tel sujet.

« Rachida Dati aime faire le buzz »

Récemment, vos échanges musclés avec Rachida Dati sur les plateaux télé ont fait parler. Pourquoi est-elle aussi agressive avec vous ? Y a-t-il un passif entre vous ?

Pas à ma connaissance ! Sur le premier plateau que nous avons fait sur TF1, elle n’a pas digéré que je souligne sa connivence avec En Marche ! Et depuis, à chaque plateau, elle a été d’une agressivité folle. Mais je crois que c’est sa volonté de faire le buzz, et d’empêcher la personne d’en face de s’exprimer. C’est pourquoi j’ai refusé le dernier plateau de TF1 pour aller sur France 2 (lors du second tour des législatives). Moi, ça ne m’intéresse pas d’être en espèce de binôme avec elle, comme si on était un duo à buzz médiatique.

Elle a dû être déçue de ne pas vous croiser sur TF1.

Elle aime faire le buzz donc bon, elle a dû le faire autrement. Je ne l’ai pas regardée. Une telle attitude ne sert pas le débat politique. Le fond ne s’entend pas, les gens ne comprennent rien quand on se hurle dessus, aucun message ne passe. Certaines chaînes semblent aimer ça mais ça ne m’amuse pas du tout. Je ne viens pas pour faire le show.

Vous en avez déjà parlé avec elle hors caméra ? Vous avez déjà essayé de lui dire d’arrêter ça ?

Non. À quoi bon ?

Vous esquivez d’autres personnalités politiques qui cherchent trop le buzz à votre goût ?

Elle a quand même la palme, je crois. Elle a vraiment ce côté roquet qui ne vous laisse pas parler. Ça ne m’impressionne pas mais de fait, cela empêche de s’exprimer.

Vous assumez quand même d’essayer de trouver des punchlines pour les plateaux ?

Oui, on cherche parfois les punchlines. Des phrases incisives, courtes, qui font passer nos idées. Le problème, c’est que l’on peut être happé par ce qui fait le buzz pour faire le buzz. Et à un moment donné, perdre le fil et le contenu politique que l’on veut porter. Ça peut faire faire de tristes bêtises…

Y a-t-il aussi des journalistes que vous esquivez ? Certains sont accusés de trop souvent taper sur Jean-Luc Mélenchon.

Ça peut arriver, bien sûr. Mais une bonne interview, cela ne dépend pas de la sympathie du journaliste. Parfois, les journalistes trop gentils qui vous posent toujours les mêmes questions, ce sont ceux qui donnent des entretiens ennuyeux. Vous n’en sortez pas grandis.

De qui êtes-vous la plus proche chez la Nupes ?

Mon amie chez les communistes, Elsa Faucillon, mais ça tout le monde le sait. J’ai des relations tout à fait chaleureuses avec Olivier Faure et Julien Bayou. J’ai aussi beaucoup échangé avec Boris Vallaud sous le précédent mandat.

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Ça a dû vous aider à faire le lien entre La France insoumise et d’autres courants de la gauche.

Exactement. Même si ça peut aussi aider de ne pas se connaître. Parfois, on travaille mieux quand il y a moins d’affects passés.

2027, ce serait bien qu’une femme remplace Jean-Luc Mélenchon. Vous y pensez ?

On n’y est pas du tout ! C’est à la fois demain et très loin. Et puis Jean-Luc est irremplaçable. Donc je ne suis pas sûr qu’il faille le « remplacer ». En revanche, qui prendra une place de leader après lui, c’est évidemment une question. On peut penser que le temps des femmes sera venu.

Clémentine Autain et son passé de « chanteuse »

Récemment, j’ai découvert que vous aviez participé à une comédie musicale.

Je ne savais pas non plus (rires) ! Non, je vois de quoi vous voulez parler… C’était une comédie musicale dans laquelle je n’ai fait que du playback. Donc arrêtez de raconter que j’étais chanteuse (rires) !

On peut dire que vous êtes un peu actrice alors ? J’ai vu une petite filmographie sur votre page Wikipédia…

Une filmographie ! Au moins ça (rires).

Il y a trois films quand même… Va-t-elle s’allonger un jour ?

Allez savoir ! En tout cas, une carrière d’actrice ou de chanteuse, c’est très très exagéré. Mais sinon oui, j’ai joué dans le film de Romane Bohringer (L’amour flou, 2018). Et dans la série aussi, d’ailleurs.

Comment s’est faite la connexion ?

Romane Bohringer est venue me demander de jouer mon propre rôle dans son film puis dans sa série. Au début, j’ai trouvé ça complètement lunaire. Mais comme c’est une femme irrésistible, c’était impossible de lui dire non.

Vous la connaissiez avant ?

Ah non, pas du tout ! Elle est venue me voir avec ce projet de film, tout simplement. Mais je l’ai trouvée tellement incroyable, que ce n’était pas possible de lui dire non.

Vous citez Clara Luciani et Angèle dans votre livre. C’est dans votre playlist ?

Ah oui ! C’est ce qu’écoute aussi beaucoup avec ma fille. Donc je chante avec elle ! J’aime beaucoup chercher des références et des points d’appui dans la culture populaire. Et j’aime chanter des chansons que tout le monde chante.

Crédits photos : Patrice Normand

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