Violences sexistes et sexuelles : les stratégies de défense bien rodées des accusés médiatiques

  • Étaler sa défense dans les médias
  • Le "tribunal médiatique" ou le renversement des responsabilités
  • La "bonne victime" contre "l’hystérique"
  • La présomption d’innocence : le faux argument
  • La plainte en diffamation : l’arme ultime d’intimidation

Qu’il s’agisse de Patrick Poivre D’Arvor, accusé d’agressions sexuelles par une trentaine de femmes, de Nicolas Hulot, accusé d’agressions sexuelles par six femmes, de Richard Berry, accusé d’inceste par sa fille, de Roman Polanski, condamné pour viol, de Damien Abad, visé par une enquête pour violences sexuelles, ou encore de George Tron, condamné pour viol en 2021, ces hommes à la notoriété publique se sont tous défendus, plus ou moins récemment, d’avoir un jour été agresseur.

Lorsque leurs affaires respectives ont été médiatisées, ces mis en cause ont usé de nombreuses stratégies pour leur défense, tentant de faire pencher la balance de l’opinion publique de leur côté. 

Parfois, cette stratégie s’étend jusqu’à l’intimidation des victimes, avec l’organisation d’attaques judiciaires visant à les discréditer et les ensevelir sous les frais de justice. Décryptage d’une mécanique de défense bien huilée.

Étaler sa défense dans les médias

À notre époque et dans un contexte de libération de la parole des victimes, la place des médias est majeure. « Ils sont une arme », abonde Ariane Ahmadi, spécialiste en communication et en stratégie politique. En France d’ailleurs, « la grande majorité des affaires liées aux violences sexuelles commence dans la presse ». C’est en cela que « la stratégie pour la personne mise en cause est celle d’une conquête médiatique de l’opinion », assure-t-elle.

C’est entre autres celle qu’a utilisé Patrick Poivre D’Arvor, qui a étalé sa défense contradictoire dans l’émission Quotidien, ou encore de Nicolas Hulot, qui fait toujours l’objet d’une enquête sur des soupçons de viol et d’agressions sexuelles, venu livrer « sa vérité » sur le plateau de BFMTV. L’experte précise que la méthode n’est pas nouvelle. Sauf que désormais, cette « communication de crise » est utilisée afin d’améliorer son image avant même la tenue des procès. 

On ne peut pas penser l’arène judiciaire comme séparée et extérieure à l’arène médiatique.

Pour Bérénice Hamidi, professeure en études théâtrales et membre de l’Institut Universitaire de France, qui s’intéresse aux représentations culturelles et aux rapports de domination, « les médias sont l’une des scènes du conflit entre les différentes narrations, qui est un enjeu clé dans les affaires de violences sexistes et sexuelles ». Selon la chercheuse, « on ne peut pas penser l’arène judiciaire comme séparée et extérieure à l’arène médiatique ».

Sur les réseaux sociaux, dans l’immédiateté, l’opinion publique est poussée à s’impliquer et choisir son camp. Richard Berry a ainsi préféré ce médium, en prises directe avec l’opinion publique, pour contester les accusations de viols incestueux portées par sa fille, Coline Berry. Le 14 avril 2022, celle-ci a été condamnée à 2 000 euros d’amende pour diffamation par le tribunal d’Aurillac (Cantal).

Les prises de parole des victimes, comme des accusés, amènent de facto la population à écouter et à s’interroger sur ces affaires, d’autant plus lorsqu’elles concernent des puissants. Mais on remarque alors « de l’empathie par défaut pour les agresseurs et du défaut corollaire d’empathie pour les victimes » a fortiori si les accusés sont populaires, constate Bérénice Hamidi. 

D’autant que les célébrités mises en cause jouissent « d’un capital financier, d’un capital social, de notoriété, et de moyens pour faire écouter leur version des faits qui sont totalement disproportionnés par rapport à ceux de leurs accusatrices », note l’experte. 

Plus largement, « on refuse de croire les victimes et l’on veut croire les agresseurs, qui eux, n’auraient pas de raisons d’agresser ».

Dans Challengesle 14 février 2022, l’auteure de Défaire le discours sexiste dans les médias (éd. JC Lattès), Rose Lamy, dénonçait ces « mythes qui veulent que les hommes de pouvoir ou les artistes sont incapables de violences sexistes et sexuelles » quand en parallèle, celui de la femme vénale, motivée par une prétendue célébrité, ou bien par le porte-monnaie de celui qu’elle accuse, est encore très ancré dans l’imaginaire collectif.

Le « tribunal médiatique » ou le renversement des responsabilités

Un collectif que les accusés médiatiques tentent de gagner à leur cause mais qui, s’il vient à accorder du crédit à l’accusatrice qui s’exprimerait elle aussi dans la presse, a tôt fait d’être qualifié de « tribunal médiatique ».

« Le tribunal médiatique a fini par contaminer l’ordre judiciaire » affirmait par exemple Georges Tron, condamné à 5 ans de prison pour le viol d’une conseillère municipale, dans Le Monde. En novembre 2019, c’était l’avocat de Roman Polanski, alors que celui-ci est accusé d’avoir violé la comédienne française Valentine Monnier au mois de janvier 1975, qui le dénonçait dans La Dépêche.

Extrêmement connotée, l’expression « agite le spectre d’une vindicte populaire, violente et anti-démocratique », selon la spécialiste en communication Ariane Ahmidi. 

À noter que les mis en cause dénoncent eux-mêmes ce fameux système dans… les médias. « C’est là encore une façon d’inverser les positions d’agresseur et de victime, de se faire passer pour impuissant », analyse Bérénice Hamidi. Ainsi, PPDA s’est dit victime d’une « délation des tribunaux populaires », et Nicolas Hulot d’un « procès médiatique ».

« Dans le cadre des affaires de violences sexistes et sexuelles, qui se jouent souvent sans preuves et dans un affrontement de versions, on soupçonne l’accusé de ‘faits’ et les victimes de ‘mensonge’« , ajoute Rose Lamy dans son ouvrage. Pourtant, dans les faits, 99% des plaintes pour viol demeurent impunies.

Par ailleurs, peu d’hommes connus ayant été accusés d’agressions sexuelles ont vu leur carrière détruite par l’institution fictive, régulièrement jugée coupable de cancel culture. Force est pourtant de constater, d’après leurs activités et leur présence médiatique actuelle, que cette dernière n’aura eu que peu, voire pas de conséquences pour : Luc Besson, pour qui la justice a prononcé le non-lieu dans une affaire de viols mardi 24 mai 2022, pour Patrick Bruel, dont les enquêtes le visant pour agression et harcèlement sexuel ont été classées sans suite, pour Roman Polanski, condamné en 1977 aux États-Unis pour viol et accusé depuis par d’autres femmes pour des faits similaires, ou encore pour Gérard Depardieu, dont la justice a confirmé la mise en examen pour viols et agressions sexuelles.

La « bonne victime » contre « l’hystérique »

Autre stratégie de défense classique dans ces affaires : les accusés misent « sur tous les vieux relents misogynes qui persistent et qui décrédibilisent la parole des femmes, au motif qu’elles seraient menteuses, folles, qu’elles exagèrent », énumère Bérénice Hamidi.

Quand les journalistes de Paris Match demandent par exemple à Roman Polanski pourquoi Charlotte Lewis l’accuse de viol, voici sa réponse : « Qu’est-ce que j’en sais ? Frustration ? Il faudrait interroger des psys, des scientifiques, des historiens, que sais-je ? ».

Suggérer la démence ou le trouble psychologique d’une accusatrice permet ainsi de minimiser son ressenti et d’ébranler la véracité de ses dénonciations. « Pour que l’on s’insurge contre les violences exercées sur une femme, celle-ci doit avoir eu un comportement irréprochable », garant de sa bonne foi, écrit Rose Lamy, 

Dans son livre, elle liste les attitudes que devrait avoir une « bonne victime » aux yeux de la société. Celle-ci doit être « moralement irréprochable, sexuellement peu active, habillée sobrement, avoir un comportement exemplaire au moment de l’exercice de la violence et après, en présence des forces de police, qu’elle ne manque pas d’interpeller dans un délai évalué raisonnable, lui aussi. »

Personne n’interroge la présomption de culpabilité quasi systématique à l’égard des femmes qui accusent ces hommes.

Faisant fi de la mémoire traumatique, des mécanismes de l’emprise et de la domination, les accusés n’hésitent pas à pointer les « contradictions » de leur récit. Richard Berry a insisté sur le fait que le discours de sa fille aurait « évolué avec le temps ». Patrick Poivre d’Arvor, de son côté, juge les accusations de viols de Florence Porcel incohérentes : « Cette histoire ne tient pas la route (…) quelqu’un qui aurait été violée, puis qui revient vous voir un peu après. » L’ancien journaliste surfe également sur la culture du viol qui estime qu’une victime ne peut changer d’avis au cours d’une relation.

Depuis, le 28 juin 2022, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Versailles a pris la décision d’étendre les investigations à « l’ensemble des faits » dénoncés par les plaignantes de PPDA, y compris ceux prescrits, décrits par Florence Porcel.

La présomption d’innocence : le faux argument

Autre carte brandie par les accusés célèbres, celle de la « présomption d’innocence », terme juridique qui ne devrait pas s’appliquer pas à la société civile et qui, lorsqu’il est prononcé hors des tribunaux, profite aux agresseurs.

Son utilisation revient, explique Bérénice Hamidi, à attribuer « une présomption généralisée de mensonge à l’égard des victimes. » Sous couvert de neutralité, selon la spécialiste, il remet directement en doute leur parole.

Cette « présomption de culpabilité quasi systématique à l’égard des femmes », « personne ne l’interroge », appuie Rose Lamy dans Défaire le discours sexiste dans les médias. À l’inverse, elle « fabrique des accusés héroïques qui restent en poste contre vents et marées », ajoute l’autrice. Pour exemple, Gérald Darmanin, blanchi par la justice dans une affaire de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance, mais dont le maintien en poste durant l’enquête de la justice a fait et continue de faire la colère des féministes, ou encore Damien Abad, actuellement visé par une enquêtepour « tentative de viol », qui n’a été évincé du gouvernement qu’après un remaniement obligatoire le 4 juillet 2022.

Pour d’autres chefs d’accusations, certains politiques ont immédiatement démissionné, comme François Bayrou, suspecté de détournements de fonds en 2017, qui a est parti avant même qu’une plainte ne soit déposée.

La plainte en diffamation : l’arme ultime d’intimidation

Dans le but de faire taire les accusatrices, les personnalités médiatiques ont largement recours à une arme judiciaire redoutable, avec une « fonction préventive et punitive », insiste Bérénice Hamidi : la plainte pour « diffamation » ou pour « dénonciation calomnieuse ».

Dernièrement, une grande majorité de ces hommes y ont eu recours : PPDA contre 16 de ces accusatrices, Damien Abad contre l’élue centriste qui l’accuse de tentative de viol, ou encore Nicolas Hulot, qui l’a retirée avant un procès…

L’attaque en diffamation fait partie de ces procédures et stratégies bâillons pour étouffer et faire taire les plaignantes.

À l’étranger aussi, cette technique est très utilisée, comme par Johnny Depp contre son ex-femme Amber Heard, qui l’accuse de violences conjugales. Ou en Suède, où une dizaine de femmes qui dénonçaient des violences sexuelles ont été condamnées.

« Elle fait partie de ces procédures et stratégies bâillons, qui poussent les victimes à retirer leur plainte », analyse Bérénice Hamidi, « c’est une façon pour les accusés de prouver au public qu’ils défendent leur innocence« , et de le « faire savoir à la presse ». 

Nuance que les accusés se gardent bien de préciser : être condamné pour diffamation ne signifie pas avoir menti aux yeux de la justice. Diffamer est le fait de porter atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne. « Peu importe que le fait en question soit vrai ou faux, mais il doit être suffisamment précis pour faire l’objet, sans difficultés, d’une vérification et d’un débat contradictoire », précise le site officiel de l’administration française. « Une personne accusée de diffamation peut alors se défendre en prouvant la vérité des propos avancés ou en mettant en avant sa bonne foi », explique Rose Lamy dans son livre.

« C’est intéressant pour les accusés car la durée de la procédure n’est pas la même pour le viol, qui est un crime, et pour la diffamation, qui peut être jugée plus rapidement », ajoute Bérénice Hamidi. Devant la justice, la victime devient l’accusée. Et en diffamation, elle peut être condamnée avant même son procès ou son dépôt de plainte.

Le procès ultra-médiatique entre Johnny Depp et Amber Heard est un symbole de cette arme juridique. Johnny Depp « a demandé à ce qu’il y ait les caméras », précise l’enseignante, « ce procès filmé faisait partie intégrante d’une stratégie médiatique qui a payé au-delà de ses espérances. »

Amber Heard, elle, a été victime d’une virulente et internationale campagne de dénigrement et de décrédibilisation, tandis que l’acteur a été adulé et soutenu par une grande majorité de fans sur les réseaux sociaux. Pourtant, lui aussi été condamné pour diffamation lors de ce même procès. Mais cela, qui l’aura finalement retenu ?

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