Grande connaisseuse d’œuvre d’Annie Ernaux, et plus encore depuis qu’elle a joué dans l’adaptation de Passion simple au cinéma, l’actrice et dramaturge Lætitia Dosch a lu pour nous ce Jeune homme, avec la finesse et l’exaltation qui la caractérisent.
La critique de Lætitia Dosch
« C’est tellement exaltant de voir une femme de 54 ans, comme cela, vivre une histoire d’amour avec un homme jeune.
Une femme qui ne se montre pas en faiblesse mais au contraire dominante – même un peu gênée de son statut dominant – et qui va décider elle-même, à un moment, de mettre fin à cette histoire.
Une femme qui ne se sent ni menacée ni fragilisée par cet homme que d’autres femmes draguent – des plus jeunes qu’elle, ou d’autres de son âge qui se disent : si elle a eu sa chance, pourquoi pas moi ?
Une femme qui parle d’un homme de la même façon que Philip Roth parle des femmes : comme objet de désir.
Ce n’est pas souvent qu’on montre ainsi une femme ménopausée, alors c’est un geste politique hyper moderne !
Si j’étais une quinquagénaire qui galérait en amour, ce livre me donnerait de la force, mais même pour moi, à 40 ans et quelques, il est précieux, car on a toujours l’impression, quand on est une femme, d’avoir une date de péremption. Annie Ernaux repousse cette date à plus tard.
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Je trouve super fort, aussi, qu’elle aime chez cet homme tout ce que, trente ans plus tôt, elle détestait chez elle-même : les marques de sa classe – le fait qu’il coupe ses spaghettis, par exemple.
Et puis j’ai été secouée par cet épisode où elle montre à son amoureux une photo d’elle jeune – je la reconnais là-dedans : Annie, dans la vie, montre souvent des photos – et que, lui, ça le rend triste.
Comme si, malgré toutes les libertés qu’on peut prendre, il y a quand même un truc, quoiqu’on fasse, qui nous réduit à l’âge qu’on a, qui nous enferme dans notre condition.
Le pouvoir des mots
« J’admire d’ailleurs la distance qu’arrive à prendre Annie avec ce qu’elle vit et a vécu – une distance que j’aimerais avoir, moi aussi, quand je parle de moi dans mes spectacles –, même quand elle écrit sur des choses qui font très mal et qui dérangent.
Quand je lis, j’ai parfois envie qu’elle sorte du livre,qu’elle s’extirpe des situations qu’elle raconte – qu’elle cesse d’être amoureuse de son amant russe dans Passion simple, par exemple.
Pourtant sa langue reste implacable, analytique et aimante à la fois. Peut- être parce que pour elle, une histoire n’est jamais totalement vécue jusqu’à ce qu’elle soit sublimée, transcendée, dans la littérature.
C’est quelque chose, le pouvoir des mots, pour Annie, elle qui, d’ailleurs, parle comme elle écrit : avec un vocabulaire très choisi et un goût prononcé pour la vie. »
(*) Le jeune homme, éd. Gallimard, 8 €.
Cet article a initialement été publié dans le magazine Marie Claire numéro 838, daté juillet 2022.
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