À 48 ans, je deviens infirmière pour donner du sens à ma vie

  • Dès le départ, un problème de vocation
  • Du temps pour réfléchir
  • Bouleverser mon équilibre familial
  • Prête à endosser ce rôle et ce métier

« Je viens de démarrer un stage de cinq semaines dans le service de chirurgie maxillo-faciale à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Un étage est réservé aux malades opérés d’un cancer qui ont besoin d’une reconstruction. Dans l’autre, il y a des accidentés de la circulation, voiture, trottinette, vélo, des blessés dans des bagarres, des nez cassés, des becs-de-lièvre, des suicides par balle…

C’était ma première nuit. Elle a été plutôt calme.

Une femme, angoissée, devait se faire opérer. J’ai pu prendre le temps de la rassurer et non de passer en coup de vent en lui disant : « Je reviens », puis ne jamais revenir parce qu’il y a une autre urgence et que l’on manque de personnel. J’ai aussi dû faire une prise de sang à un homme de 76 ans.

« Ah, vous êtes étudiante ? Allez-y ! », m’a-t-il encouragée en tendant son bras. Je me suis dit : allez cocotte, vas-y tout de suite. Les actes techniques ne sont pas ce qui m’intéresse le plus mais il faut que je les maîtrise pour ne pas faire mal aux patients. C’est bon, je ne lui ai pas fait mal. J’ai 48 ans et je viens de reprendre mes études. Je suis en première année à l’Institution de formation en soins infirmiers de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Dès le départ, un problème de vocation

Avant, j’étais journaliste. Il y a vingt-cinq ans, j’ai passé les concours et j’ai été reçue à l’école de journalisme de Lille. Cela me plaisait bien mais j’ai senti, dès le départ, que je n’avais pas la vocation. Tout s’est enchaîné avec facilité : j’ai travaillé à l’édition puis comme rédactrice en chef dans plusieurs journaux. Comme je suis du genre bonne élève, bon petit soldat, organisée et consciencieuse, je me retrouvais rapidement avec des responsabilités.

Personnellement, je ne me sentais pas forcément à ma place mais les autres trouvaient que j’y étais.

Lors de mon dernier poste, j’avais beau avoir les compétences, j’avais l’impression de pédaler dans le vide. Pourtant, je ne me sentais pas autorisée à dire à mes boss que ce boulot n’était pas pour moi. Cela m’a beaucoup fragilisée. J’en ai perdu le sommeil. Pour la première fois de ma vie, j’ai été en arrêt maladie.

Cela m’a permis de me rassembler. Et de répondre à cette question qui avait été lancinante tout au long de ma carrière : suis-je à ma place ? J’aurais pu décider d’aller sur le terrain pour faire du reportage mais j’avais sans doute un peu la trouille et, finalement, pas l’envie.

Dans le journalisme, on parle des autres et je voulais être tournée vers les autres plus concrètement. Journaliste est un super métier, simplement, que je le sois n’est pas nécessaire.

Du temps pour réfléchir

J’avais donc besoin de temps pour réfléchir. J’ai enchaîné trois mois de congés sabbatiques. Tout est alors allé très vite. Le social et le soin étaient les domaines qui avaient du sens pour moi.

Réflexe professionnel, j’ai alors contacté des assistantes sociales, des psys, des ostéopathes, des infirmières… J’ai pris beaucoup de cafés, posé mille questions sur leur quotidien, leurs satisfactions et leurs insatisfactions.

Depuis, j’ai appris que j’avais fait une « enquête métier » selon le jargon de Pôle Emploi. Sage-femme m’aurait beaucoup plu mais les études sont trop longues. « Qu’ai-je le temps de faire avant ma retraite ? » était quand même une des questions à laquelle il me fallait répondre. Le métier d’infirmière s’est détaché rapidement. J’en ai rencontré beaucoup, des soûlées, des « au bout de leur vie », des proches de la retraite mais toujours passionnées…

J’aime l’aspect concret et aussi l’apport intellectuel, très stimulant. Je lis beaucoup. Le champ des possibles pour exercer est immense.

Depuis que j’ai recommencé mes études, tout me plaît. Mine de rien, il a fallu remettre ma mémoire en route… Ça y est ! J’aime le mélange de la technique et de l’écoute.

J’aime l’aspect concret et aussi l’apport intellectuel, très stimulant. Je lis beaucoup. Le champ des possibles pour exercer est immense.

Dans mon ancien métier, j’ai adoré la fabrication en commun d’un journal. Et même si certains journalistes étaient des emmerdeurs parce que leur nom n’était pas écrit assez gros en bas de l’article, je garde le goût du travail en équipe. Une fois infirmière, je souhaite retrouver cela.

Bouleverser mon équilibre familial

Ma reconversion a bouleversé notre vie familiale. Financièrement, je m’apprête à diviser mon salaire par deux. Avec mon mari, qui était très partant, nous avons longuement discuté et réfléchi. Nous avons la chance d’être propriétaires d’un grand appartement dans le centre de Paris. Nous en avons donc vendu une partie pour rembourser notre prêt et nous avons reconfiguré l’espace.

Mes deux ados de 13 et 15 ans ont désormais une petite chambre, 9m2 chacun, ça suffit amplement. On a mis les deux plus jeunes de 6 et 8 ans, dans la même. Nous partions d’un niveau de vie très agréable, j’en ai conscience. J’ai renoncé à ce qui n’est pas nécessaire. Moins de restos, plus de nounou ni de femme de ménage… Ces choix m’allègent. D’ailleurs, je kiffe de faire mon ménage. Mon nouveau mode de vie correspond à mes aspirations.

En termes d’éducation, je trouve vertueux de dire aux enfants : « Non, on ne peut pas, on doit faire attention ».

Les liens avec mes enfants ont évolué et les lignes dans mon couple ont bougé. Mes deux aînés sont très empathiques : ils proposent de me faire réviser mes partiels, me demandent quelles notes j’ai obtenues. Les petits comprennent que je vais à l’école, comme eux, ça crée un truc.

Et dans la répartition des tâches avec mon mari, tout a changé. Avant, je portais la plus grande part de la charge mentale : le dîner tous les soirs, la gestion des baby-sitters…

Désormais, lorsque je suis en stage, c’est comme ça et pas autrement. “Je ne suis pas là ? Eh bien, je ne suis pas là.”

Aux dernières vacances, mon mari est parti tout seul avec les quatre enfants. Il était flippé. En rentrant, il était fier comme Artaban, il avait fait la popote tous les jours. Ce rééquilibrage en douceur entre nous est une très belle surprise. Je n’ai pas encore choisi ce que je ferai une fois diplômée. Mais j’ai le recul nécessaire.

Prête à endosser ce rôle et ce métier

À 18 ans, j’aurais explosé en vol car j’aurais été trop empathique. Le service public me plairait beaucoup. Avec la maturité, je sais que je saurai déceler la maltraitance, pour les patients et aussi pour moi.

Mon précédent stage s’est déroulé en gériatrie. C’était sordide. Un manque de personnel énorme. Les cadres ne sortaient pas de leur bureau. Les aides soignantes lavaient les malades comme des steaks. En cinq semaines, je n’ai pas vu un seul brossage de dents.

L’institution maltraitait les soignantes et elles aussi étaient dans la maltraitance. Il n’y avait aucune réflexion sur rien. Ces gens qui meurent seuls dans les services de gériatrie, c’est désespérant.

D’ailleurs, les soins palliatifs font partie des soins vers lesquels je pourrais m’orienter. Notre société est dans la performance, y compris médicale : la mort n’existe pas, on ne veut pas la voir, on en a peur. Pour moi qui suis catholique, très croyante et pleine d’espérance, tout ce qui peut aider à mourir dans la paix m’intéresse beaucoup. Creuser la réflexion sur la fin de vie me passionne ».

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Témoignage publié dans le magazine Marie Claire n°838, daté juillet 2022 – parution juin 2022

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