- Toujours en haut de l’affiche
- Libre, anti-conformiste, vivante
- Engagée depuis le manifeste des 343
- Jeune femme indépendante
- Six décennies de carrière
- Comédienne au "regard perçant"
- Vieux rêves et nouvelles envies
Marier les contraires. Combiner les genres. Comme une magicienne qui détient la formule, une peintre qui équilibre savamment les couleurs chaudes et froides sur sa toile, ou plutôt… comme personne, Françoise Fabian maîtrise ce subtil art.
Après quelques minutes de conversation, nous réalisons que ce qu’elle renvoie ne coïncide pas avec l’image que notre imagination avait pu se faire de cette grande dame élégante.
L’artiste est distinguée, mais pas en retenue – doux euphémisme pour dire « spontanée », « chaleureuse » même. Mythique mais accessible. Libre mais fidèle. Personnification de la grâce, Françoise Fabian se révèle aussi badass.
Toujours en haut de l’affiche
Autre délicieuse contradiction : « Françoise a son âge et elle n’en a pas », comme le formule joliment Aurélie Saada, qui lui a offert le sublime premier rôle de Rose. Cet âge, 89 ans, « il existe et on s’en moque. Elle ne le cache pas, mais il ne la définit pas », admire la réalisatrice.
Il n’y a pas que des histoires de jeunes femmes dans la vie. Il y a aussi celles de mères et d’amantes plus âgées, de veuves…
« Pourquoi s’arrêter quand on est en bonne santé et qu’on a encore envie de réaliser ses rêves ? Pourquoi se limiter à un chiffre ? », résume simplement Françoise Fabian. L’actrice rentre tout juste du Festival de Cannes. Sur la Croisette, « les journalistes n’ont cessé de rappeler mon âge ! Ça me mettait en rage ! », s’agace-t-elle, dans un éclat de rire.
Mais son âge est un sujet, malgré elle, tant il est rare que des rôles féminins de premier plan soient accordés à des septuagénaires ou octogénaires.
Les cinéastes devraient davantage représenter ces femmes dans leurs fictions ? « Bien sûr, il le faut », répond franchement Françoise Fabian, avant de rappeler : »Il n’y a pas que des histoires de jeunes femmes dans la vie. Il y a aussi celles de mères et d’amantes plus âgées, de veuves… ».
Oui, des rôles peuvent être pensés et écrits pour ces femmes-là, « la preuve avec Aurélie Saada », lâche-t-elle, fière d’avoir incarné cette Rose éclatante, dans le long-métrage éponyme sorti il y a quelques mois en salle et disponible sur MyCanal. « J’avais envie de filmer une peau pleine de souvenirs et de raconter son érotisme aussi. Le cinéma nous a longtemps privé de ça… Et quel dommage », déplore l’interprète d’À bouche que veux-tu.
Libre, anti-conformiste, vivante
Dans cette comédie dramatique, le personnage de Françoise Fabian réalise, quelques temps après la disparition brutale de son époux, qu’ »elle n’est pas juste une mère, une grand-mère et une veuve, mais une femme, encore et jusqu’à la fin », selon les doux mots de l’ex-chanteuse du tandem Brigitte.
Je m’accroche au présent. J’aime danser, j’aime l’amour, j’aime la vie.
Pour elle, « travailler avec Françoise était une évidence ». Il faut dire que son héroïne et son actrice semblent collectionner les points communs. « Je m’accroche au présent. J’aime danser, j’aime l’amour, j’aime la vie », nous confie la comédienne. Comme son personnage.
« Je ressemble à Rose, mais je n’ai pas attendu autant de temps pour vivre », nuance Françoise Fabian, avec sa meilleure répartie. Chacune de ses réponses sonne comme un « Gracias à la vida », nous transmet sa gratitude envers cette vie dans laquelle elle se sent solidement et passionnément ancrée, malgré les épreuves.
« Vous savez, j’ai eu le malheur de perdre mes deux chéris [l’acteur Marcel Bozzuffi, épousé en 1957, décédé en 1960, et le réalisateur Jacques Becker, père de sa fille Marie, à qui elle fut mariée de 1963 à la mort de ce dernier, en 1988, ndlr]. Alors, il a fallu que je me batte et que je m’amuse toute seule. Je me concentre sur le positif. Même si le monde va très mal, j’essaie d’être encore vivante mentalement… et FORTE ». Les majuscules sont nécessaires pour préciser la puissance qu’elle a tenu à injecter dans ce qualificatif.
C’est au tour de ses complices professionnels, devenus des amis, de choisir quelques adjectifs pour la définir. Laurent Grégoire, son agent artistique chez ADÉQUAT depuis plus d’une décennie, opte à plusieurs reprises pour ce touchant mot, « rare ». Il dit d’abord : « C’est rare les actrices de cette longévité et de cette modernité à la fois ». Puis glisse, dans une émotion contenue : « Humainement, elle est vraiment rare ».
Il admire son « sens de la liberté », sa façon « d’envoyer valser les conventions ». Il évoque aussi son humour et sa manière de s’obséder pour ses envies. Une anecdote pour illustrer ces deux traits de caractère bien prononcés : « Sur le tournage de Dix Pour Cent (« Tout le monde dans la rue me parle de ça ! », s’amuse Françoise Fabian), elle s’est brisée la clavicule et m’a dit ‘Le moule est cassé, on en fait plus !’. Et elle a continué de jouer avec une petite attèle discrète ».
Le monde à ses côtés est enchanteur car elle trouve de l’intérêt à tout.
L’agent insiste sur son sens aigu de l’amitié et son inépuisable curiosité. « Le monde à ses côtés est enchanteur car elle trouve de l’intérêt à tout », nous partage-t-il, avec poésie et tendresse.
Aurélie Saada compile à son tour les superlatifs pour décrire sa muse. « Travailleuse, généreuse, joyeuse, profonde, brillante, gourmande, amoureuse, hypnotique », liste-t-elle. Inspirante, en somme, pour celles et ceux qu’elle côtoie.
Engagée depuis le manifeste des 343
Et elle ? Qui sont les femmes qui l’ont inspirée au fil de son parcours ?
« Des romancières et des révolutionnaires », répond du tac au tac Françoise Fabian, avant de citer deux femmes qu’elle a connu et admiré de près : Simone Veil et Gisèle Halimi, « qui n’avaient pas peur des mots ». Elle mentionne aussi Agnès Varda, « si talentueuse ».
Je n’ai pas hésité à m’engager, c’était une évidence de signer [le manifeste des 343].
Comme l’avocate et la réalisatrice, l’actrice a défié la loi pour nos droits en signant le célèbre « manifeste des 343 » rédigé par Simone de Beauvoir. Dans ce texte paru dans Le Nouvel Observateur au printemps 1971, elles déclaraient courageusement avoir avorté alors que l’acte était encore interdit en France. « Je n’ai pas hésité à m’engager, c’était une évidence de le signer », rembobine cette féministe de la première heure.
Montée à la tribune de l’UNESCO pour prononcer un discours en faveur de l’IVG, la femme, trentenaire à l’époque, se souvient d’un climat « très violent » : « Nous [les artistes co-signataires du manifeste, ndlr] avons été insultées ».
Le souvenir de ce déchaînement semble moins douloureux pour elle que l’actuel recul de l’accès à l’avortement ici et là dans le monde. « C’est terrible et même un peu désespérant. On régresse. Ça me rend tellement triste », avoue la comédienne.
La mort de mon père a été pour moi une leçon incroyable, une abomination, un désespoir… Il me suppliait de l’aider à partir et je ne pouvais rien faire pour le soutenir
D’un combat à l’autre, nous interrogeons Françoise Fabian sur ses convictions quant au droit à mourir dans la dignité.
Une larme semble lui frôler le cœur. Une peine intime se réveille, sa gorge se serre lorsqu’elle raconte : « La mort de mon père a été pour moi une leçon incroyable, une abomination, un désespoir… Il me suppliait de l’aider à partir et je ne pouvais rien faire pour le soutenir ».
L’actrice, qui attribue l’apparition de sa mèche blanche à ce choc, soupire : « Je ne veux pas que d’autres enfants vivent ça. On n’a pas le droit… Dans de telles circonstances, je voudrais moi aussi pouvoir demander l’euthanasie ».
Jeune femme indépendante
De ce père d’origine espagnole installé en Algérie, où elle est née, elle garde le souvenir d’un être cultivé, qui avait une impressionnante bibliothèque et un abonnement à Le Petite Illustration, qui publiait chaque semaine des pièces de théâtre et des romans. « Je me suis abreuvée de cette pile de revues et de tous ses livres, si bien que je connaissais des poésies par cœur », se rappelle Françoise Fabian, le sourire dans la voix retrouvé.
À l’époque, la petite Michèle Cortés y Fabianera, de son vrai nom, suit des leçons de piano au Conservatoire d’Alger. Elle a apprivoisé l’instrument très jeune, dès l’âge de cinq ans.
« La professeure d’art dramatique m’a vue jouer du piano et m’a proposé de venir dans sa classe. Je lui ai récité une poésie de Baudelaire et elle a convoqué mon père. Elle lui a dit : ‘Votre fille a du talent. Elle a une prestance, une bonne voix. Si vous le souhaitez, je peux lui donner des cours de comédie sans vous faire payer' », se remémore celle qui garde précieusement, encore aujourd’hui, une photographie de cette Madame Gravier dans sa chambre.
Après un an d’enseignement, sa « merveilleuse professeure » demande à ses parents s’ils « feraient le sacrifice de se séparer » de leur enfant, pour la présenter au Conservatoire d’art dramatique de Paris. « J’ai confiance en ma fille, je sais qu’elle va travailler et y arriver », répond le père… qui avait raison.
Il fallait que je sois forte, que je me suffise à moi-même, que je choisisse ma vie et que je la gagne.
« J’ai eu des parents merveilleux. À cette époque, seuls les fils étaient mis en avant. Mais mes parents ne pensaient pas comme ça. Ils m’ont demandé d’être indépendante. Il fallait que je sois forte, que je me suffise à moi-même, que je choisisse ma vie et que je la gagne. Ils m’ont fait confiance et ainsi, m’ont donné confiance en moi », s’émeut encore l’octogénaire. « Les parents doivent faire confiance à leurs enfants. C’est indispensable », répète-t-elle, convaincue.
Six décennies de carrière
La suite, on la connaît : après ses années au Conservatoire de la capitale, aux côtés de Jean-Paul Belmondo notamment, Françoise Fabian, dirigée par les plus grands noms de la culture, mène de front une carrière sur les planches et le grand écran, alterne les œuvres d’auteurs et populaires.
Parmi ses rôles les plus marquants, elle cite avant tout son personnage de médecin divorcée dans l’inoubliable Ma nuit chez Maud d’Éric Rohmer, « espèce de miracle international », selon son expression.
J’ai non seulement envie de faire un autre disque, mais j’ai le projet de le faire ! J’ai du culot, hein ?
« J’ai joué la plupart du temps des femmes modernes, fortes, indépendantes », se réjouit-elle, et celles qui lui viennent ensuite à l’esprit sont Françoise, antiquaire cultivée éprise d’un gangster (Lino Ventura), dans La Bonne année réalisé par Claude Lelouch (l’autre « point culminant de sa carrière », pour elle), et Aurore de Chéroy, jeune veuve brillante, dans Raphaël ou le Débauché de Michel Deville.
Comédienne au « regard perçant »
Son éclectique filmographie, qui s’étend sur six décennies, paraît interminable, mais Françoise Fabian rappelle : « Sur mon curriculum vitae, il y a plus de théâtre que de cinéma ! ».
Son personnage d’Agrippine dans Britannicus de Racine, mise en scène par Claude Santelli, fut l’un de ses rôles « déterminants ».
La première fois que l’agent artistique Laurent Grégoire a vu Françoise Fabian dans les années 90, elle brillait sur la scène d’un théâtre niçois, dans Une journée particulière aux côtés de Jacques Weber. « Je l’ai aperçue en loge, à la sortie de scène, les yeux enfiévrés par l’adrénaline. Elle était vivante, dopée par l’énergie du théâtre », se souvient précisément celui qui était alors un jeune agent. Lorsqu’elle apparaît sur scène, son talent à la « voix impériale » et au « regard perçant », « prend l’espace, se déplace comme une danseuse avec grâce », s’émerveille-t-il.
« On m’a proposé trois fois de rentrer à la Comédie française », confesse la grande comédienne. Et c’était trois fois « non » pour Françoise Fabian qui « voulait garder sa liberté » qu’elle chérit tant.
Vieux rêves et nouvelles envies
Les vibrations du théâtre l’animent toujours. Elle rêve de jouer un jour Les trois sœurs d’Anton Tchekov, et elle rit en l’avouant. Antoine et Cléopâtre de Shakespeare aussi, « la plus belle pièce du monde » à ses yeux. « Je crois que j’ai raté ma vie parce que je n’ai joué ni Shakespeare ni Tchekhov ! », lance-t-elle, sans crainte d’exagérer.
Un mois avant sa disparition, Charles Aznavour m’a écrit et envoyé une chanson.
Ce dont elle rêve aussi, c’est chanter, de nouveau. Elle, qui a osé sortir son premier album en 2018, à 85 ans passés. « J’ai non seulement envie de faire un autre disque, mais j’ai le projet de le faire ! J’ai du culot, hein ? », se marre la passionnée.
Son agent nous murmure que dans la préparation de cet album, elle se montre aussi déterminée qu’il l’a toujours connue. Le soir de son plus récent anniversaire, alors qu’elle faisait la fête sur les Champs-Elysées, l’artiste est descendue au -4 d’un bar, dans une cave transformée en studio, pour réenregistrer un morceau, pour une ou deux phrases qu’elle estimait insuffisamment bien exécutées.
Mais qu’a-t-elle envie de chanter aujourd’hui ? Des textes d’amour, sur l’amitié ? Peu importe. « Je veux surtout être accompagnée de bons musiciens et intepréter des textes de bons auteurs », rétorque parfaitement cette incroyable punchlineuse. Elle pense à Alain Souchon. « Un mois avant sa disparition, Charles Aznavour m’a écrit et envoyé une chanson », nous confie-t-elle aussi. Ce titre apparaîtra dans son prochain album. Avec la voix de Fabian sur les mots d’Aznavour, il nous bouleversera. On le sait déjà.
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