Emmanuelle Haïm est claveciniste et cheffe d’orchestre, l’une des rares cheffes au monde à diriger du baroque. Elle est la première femme à avoir diriger la compagnie du Chicago lyrique Opéra, en 2007. En 2000, elle a créé et dirigé l’ensemble Concert d’Astrée et nous fêtons ensemble les 20 ans de cette création avec la sortie de l’album : Une nouvelle fête Baroque. Le concert d’Astrée.
franceinfo : Cet ensemble vous a vraiment permis d’explorer le monde baroque, de le faire évoluer et d’évoluer en même temps.
Emmanuelle Haïm : Oui, complètement. C’est vrai qu’il y a des œuvres que je reprends maintenant et qu’on avait fait au tout début du Concert d’Astrée. Je pense particulièrement à Dido et Æneas de Purcell parce qu’on part au Grand Théâtre du Luxembourg dans quelques jours pour la redonner, cette fois-ci dans une version scénique un peu particulière et c’est un des premiers disques qu’on a enregistré. Finalement, c’est comme si c’était une œuvre nouvelle que vous regardez presque pour la première fois. Ça vous fait évoluer. D’une certaine façon, chaque projet est un challenge.
Vous êtes allée comprendre ce qui se passait, sur place, en Grèce et vous vous êtes rendu compte que dans les théâtres, on y soignait les gens. Il y a, aussi, un travail d’Histoire, de reconnaissance, un travail d’écriture toujours en ligne de fond ?
Oui. Et en même temps, tout ça, c’est mystérieux. Je me souviens qu’enfant, mais vraiment jeune, je savais que la musique était la seule chose qui m’importait vraiment. Je continue à être, oui, passionnément intéressée par tous les sujets que ça me permet d’explorer. Je rencontre aussi plein de gens qui sont dans une recherche similaire, de cette chose mystérieuse qu’on essaie d’approcher, qui est probablement aussi le beau qu’on ne saurait qualifier ou qui vous touche. Pourquoi est-ce qu’on est touché ? Qu’est-ce qui fait qu’on touche les autres ? Et comment est-ce qu’on communique avec les gens ? Je crois que c’est ça qui m’importe.
Vous avez commencé par le piano et puis, vous l’avez laissé tomber parce que trop solitaire, pour mettre au cœur de votre travail le clavecin qui lui, est au cœur de l’orchestre. Il y avait déjà un travail, une envie d’avoir une connexion familiale à travers la musique.
Moi, j’ai trouvé les premières fois où j’ai joué du clavecin au sein de l’orchestre très extraordinaires. J’ai juste trouvé ça magique d’avoir la musicalité de chacun qui vous arrive, comme ça, par effluves. C’est saisissant, véritablement. Là, je me suis dit c’est ça que je veux, être vraiment immergée dans le son, dans les œuvres de l’intérieur, avec les autres. Du coup, la direction s’en est suivie.
Il y avait une musicalité quand même à la maison, enfant.
Je pense que la culture a ce rôle, de ne pas fermer les frontières, mais de les ouvrir parce que c’est un moyen de communication extraordinaire.
à franceinfo
Oui. Ma mère était musicienne amateure, mais la musique était très importante dans sa famille. Elle nous a, très naturellement, mis, tous les enfants, à la musique, comme on met les enfants à la lecture, sans y penser.
Dans la famille de mon père, qui était originaire d’Istanbul, avec des origines variées, là aussi, la musique était poétique, importante et on s’y référait. En musique, on a cette chance aussi de se mélanger et je trouve que c’est une ouverture, une nécessité à vrai dire.
Vous avez donc très tôt étudié l’écriture musicale et l’harmonie. Est-ce que vous êtes en harmonie avec vous-même avec ce rôle de cheffe d’orchestre, sachant que vous êtes l’une des rares cheffes au monde à diriger du baroque ?
Être en harmonie avec soi-même est le travail d’une vie. Donc, j’espère bien y arriver un jour.
C’est marrant parce que vous vouliez vraiment chanter au début.
Je voulais faire plein de choses. J’aurais voulu être danseuse. J’avais le dos, tout à fait, tordu avec une scoliose donc on m’a dit au bout d’un moment : « Non, ce n’est pas possible« . Je trouvais que la danse réunissait la musique, le rythme et le mouvement, je trouvais ça fantastique. J’avais une voix, tout à fait, cassée, mais j’adorais tellement le fait qu’un chanteur avait les mots et la musique. Je fais plein de projets avec des danseurs, avec des chanteurs et avec des musiciens.
Simon Rattle, devenu Sir Simon Rattle, est le chef d’orchestre qui vous a vraiment donné envie de le devenir aussi. C’est un déclic ?
C’est un passage tellement particulier que celui de passer cette étape, d’assumer le fait de dire : « Oui, je veux diriger » que l’assentiment d’un autre chef ou de plusieurs autres chefs sont absolument fondamentaux. Quelqu’un qui vous dit : « Mais oui, c’est ça qu’il faut faire« .
Quelle cheffe d’orchestre êtes-vous alors ?
Pour être cheffe d’orchestre, vous devez être en harmonie avec vous-même, pour l’exercer au plus proche de ce que vous êtes.
à franceinfo
Je ne crois pas que ce soit un rôle qui doit être fixé dans la façon dont on l’exerce. Je pense qu’il doit vous ressembler.
Pour terminer, êtes-vous fière de ce parcours ?
Oui, je dois dire que je suis fière, mais la chose dont je suis assez contente, c’est que ma fille en est fière. Elle a 16 ans. De temps en temps, on a des discussions un peu philosophiques sur tout ça et ça me fait plaisir.
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