Pourquoi parler de sa grossesse avant trois mois peut être salutaire

C’était le 21 janvier 2019. Deux mois de grossesse, et puis, subitement, la fausse couche. “Précoce”, ont dit les médecins. Au-delà de la douleur physique, je me souviens surtout avoir été submergée par un mal-être psychique d’une rare intensité. Malgré les explications, les mots rassurants du corps médical et les statistiques. Comme si ça n’était pas suffisant, s’est ajoutée à cela une tourmente à laquelle je n’avais jamais pensé jusqu’alors : comment annoncer à mes proches que j’avais été enceinte, quelques semaines, que désormais je ne l’étais plus et que j’en souffrais ? Comment aborder cette douleur avec eux, alors qu’ils ne savaient rien auparavant de ma joie, de mon attente. 

Sans parvenir à trouver une réponse juste, j’ai finalement foncé dans le tas : expliquer frontalement les choses, sans pincettes. Et quelques mois plus tard, alors que je tombais une nouvelle fois enceinte, je me suis demandée si je « devais » encore me taire. Si je devais une nouvelle fois, vivre cette solitude du premier trimestre, avec la peur au ventre que l’histoire se répète. 

Avant d’aller plus loin dans cette réflexion, une clarification apparaît d’emblée nécessaire : l’idée n’est en aucun cas de forcer qui que ce soit à dévoiler son intimité (sa grossesse, sa fausse couche ou même son avortement), mais bien de questionner le silence intimé par la société et par une partie du corps médical à propos des fameux « trois premiers mois de grossesse ». Une injonction parfaitement intégrée, qui, finalement, confine les femmes au secret -voire à l’isolement- à un moment d’intenses bouleversements physiques et psychiques. 

Attendre trois mois, une recommandation statistique 

Depuis cette expérience, le temps est passé. Mais la question de ce silence recommandé durant le premier trimestre de grossesse me questionne toujours. Son fondement statistique, bien que compréhensible, est difficile à assimiler. D’autant que 200 000 femmes seraient concernées en France chaque année par ces interruptions spontanées de grossesse (la fausse couche, ndlr). Et le pourcentage semble encore plus élevé pour les premières grossesses : c’est ce qu’on a longtemps appelé “la fausse couche des jeunes mariés”, comme l’a rappelé la journaliste et autrice Renée Greusard dans son livre Enceinte, tout est possible (Ed. J.-C. Lattès) paru en 2016. “Il s’agit d’une immaturité du système immunitaire chez la femme qui n’a jamais reçu de parcelles étrangères”, écrit-elle en citant sa gynécologue. Autrement dit, “votre tête veut un enfant mais votre corps ne l’entend pas ainsi. Confronté à la présence de l’embryon, il le vire, tel un vulgaire squatteur”. 

Mais en quoi ces risques statistiques justifient-ils ce silence conseillé par de nombreux médecins encore aujourd’hui, et intégré par une majorité de femmes comme étant une norme qu’il faut suivre ? Ne pas dire sa grossesse évite d’avoir à annoncer une mauvaise nouvelle. Certes. Mais cela aide-t-il vraiment les femmes à ne pas trop s’impliquer dans ces débuts de grossesse ? Non. Est-ce que cela aide la société à – enfin – considérer la fausse couche comme une véritable épreuve ? Non plus. Est-ce que cela nous permet de faire tomber les tabous autour de l’avortement ? Certainement pas. Car oui, le fait de ne pas dire que l’on est enceinte même de quelques jours/semaines, fait également peser des non-dits sur l’IVG, lui aussi quasi systématiquement tu. 

Trois mois, le “véritable” début de la grossesse ?

Le problème, c’est que le premier trimestre de grossesse, ou plutôt la fin de celui-ci, cristallise énormément de choses pour la femme enceinte, qu’elle veuille mener à terme sa grossesse ou non d’ailleurs. C’est à ce moment-là que se fait la première échographie, qui va servir de point de départ à la déclaration officielle à la Sécurité Sociale. Et c’est également, la limite légale (14 semaines d’aménorrhée, ndlr) pour pouvoir avorter en France.

Comme si, pour les institutions, une grossesse ne commençait qu’à partir de ce moment précis. Or, qu’on ait le désir d’enfant ou non, qu’on décide ou pas d’essayer de mener cette grossesse à terme, on est enceinte en réalité à partir du moment où un spermatozoïde féconde un de nos ovules. 

À partir de là, il serait sans doute plus simple de pouvoir dire sans tabou que l’on est fatiguée, qu’on a envie de vomir, qu’on est stressée, inquiète, qu’on a mal aussi ou alors qu’on ne veut pas d’enfant, peut-être juste pas maintenant, ou peut-être jamais, et qu’il faut qu’on fasse des démarches pour interrompre la grossesse. 

Le stress du secret, sur fond de superstition

C’est peut-être idiot à lire comme ça, mais tout ce silence, toutes ces incertitudes sur fond de superstition qui entourent le premier trimestre sont générateurs de stress. Même en ayant l’esprit bien cartésien on en vient à douter. Comme-ci le fait d’annoncer sa grossesse avant la date des trois mois, pouvait être la cause aux fausses-couches et autres fins de grossesses prématurées. 

Ajoutons à cela, le stress de devoir vivre seule les premières restrictions, de devoir inventer des mensonges pour refuser un verre après le travail. En bref, le stress d’être « démasquée » avant la fatidique fin du premier trimestre. “Personnellement, je pense que c’est déjà assez difficile d’être enceinte sans tous les faux-semblants, les cocktails sans alcool et les vêtements amples qui aident à garder le secret. Je vous incite par ailleurs à parcourir les 26 millions de résultats Google pour “garder secrète la grossesse” et les 44 millions d’“excuses pour ne pas boire” pour avoir une idée de l’effort impliqué”, partage ainsi Becky Kleanthous dans l’édition UK de Cosmopolitan

Les recherches scientifiques sur l’impact du stress dans le déroulement de la grossesse, et l’incidence sur le développement ultérieur de l’enfant sont plutôt récentes, et ont du mal à s’accorder. Alors que certains affirment que les tracas du quotidien, inhérents au fait de tomber enceinte, n’ont pas d’effets sur le métabolisme de la mère ou de l’enfant, d’autres pointent du doigt les risques d’un stress chronique et continu dans le déroulement de la grossesse, comme l’évoque par exemple un article publié dans la revue Devenir, paru en 2012. 

“Il ne faut pas que les mères s’affolent, ce stress est une réaction de défense face à une situation nouvelle. Il est tout à fait normal. La grossesse induit beaucoup de bouleversements physiques et émotionnels”, rassure toutefois la pédopsychiatre et psychanalyste en périnatalité Françoise Molénat dans le journal Parents. Mais est-ce une raison pour ajouter une couche d’angoisse à cet état psychique chamboulé, en réduisant au silence des femmes qui auraient besoin de verbaliser leur état, voire leurs inquiétudes, pour faire redescendre la pression ? Question rhétorique, évidemment. 

À chacune son timing

Évidemment, toutes les femmes n’ont et n’auront pas du tout envie de s’épancher sur le sujet avant trois mois, et même après. Certaines préfèreront prendre le temps d’assimiler ce qu’il se passe dans leur vie et dans leur corps, faire leur choix, se projeter ou non, etc. Le problème qui se pose en réalité, c’est que ce silence soit devenu une norme. Une norme subie pour certaines, intimée par certain.es professionnel de santé, par habitude. Et que décider de déroger à cette norme soit jugé comme inconvenant, voire carrément imprudent.

Je ne sais pas si je peux parler de regrets concernant le fait de n’avoir rien dit de ma grossesse avant ma fausse couche. Ce que je sais par contre, c’est que la fois d’après j’étais très heureuse de pouvoir compter sur mes “personnes” pour m’épauler, me rassurer, ou me couvrir quand il fallait que je sorte rapidement de réunion.
D’autres préféreront sans doute profiter de leur premier trimestre bien au chaud dans leur bulle. Certaines voudront peut-être parler librement de leur avortement, tandis que d’autres préfèreront ne pas s’appesantir sur le sujet. Même chose pour les femmes qui vivront une ou plusieurs fausses couches : certaines auront besoin de se confier, d’autres voudront se concentrer sur l’après. 
Peu importe. Discuter ou taire ce qui nous arrive, à nous et à notre utérus, ne devrait souffrir d’aucune règle de « bonne conduite ». À chacune son timing. 

Mention : si vous avez besoin de parler de votre grossesse / fausse couche / avortement, des professionnels de santé et des associations sont à votre écoute.

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