Garde d’enfants : ces pères en lutte cherchent-ils vraiment l’égalité parentale ?

Ils affichent leur détresse dans la presse ou se perchent du haut des grues dans des actions spectaculaires. Des pères séparés ou divorcés disent combattre un système judiciaire complaisant avec les femmes et réclament l’application automatique de la résidence alternée. Solution miracle, d’après eux, pour contrer les juges des affaires familiales qui attribueraient, par défaut, la garde des enfants aux mères.

Des idées masculinistes sous un vernis progressiste

Depuis les années 70, pour les plus anciennes, des associations comme SOS papa, Les papas = Les mamans, Père enfant mère ou encore Jamais sans papa, assurent militer pour une égalité réelle de la parentalité. Derrière leur argumentaire progressiste, se cacherait en réalité une guerre de posture en tant que patriarche, et contre les femmes. À tout prix.

Des arguments masculinistes et sexistes, le sociologue Edouard Leport en a beaucoup entendu lors des groupes de parole auxquels il a pu assister au sein de ces organisations. L’auteur de la thèse Quand les pères montent la garde pour l’université Paris 8, est allé à la rencontre de 24 membres d’associations du mouvement des pères.

Des échanges inquiétants et révélateurs, qu’il détaille et analyse dans son livre Les papas en danger ? (Éd. de la Maison des sciences et de l’Homme). Entretien.

Marie Claire : Les associations de pères dénoncent constamment le fait, qu’en France, ce sont les mères qui obtiennent automatiquement la résidence principale des enfants. Pourtant, la réalité est moins tranchée ?

Edouard Leport : Elles s’appuient sur les vrais chiffres, mais les manipulent. Oui, dans 80% des cas de divorce ou de séparation avec des enfants, ils sont confiés en résidence principale à la mère. Et seuls 12% des enfants de parents séparés ou divorcés sont en résidence alternée. Mais les militants en font une présentation politique, ils s’estiment victimes d’une discrimination anti-pères de la part de la justice.

Ils font de la figure des enfants un usage principalement stratégique.

Sauf qu’en regardant de plus près, on se rend compte que c’est faux. Ces chiffres reflètent en fait de façon très majoritaire les demandes des parents. Tout simplement, s’il n’y a pas plus de résidences alternées attribuées, c’est parce que les parents (pères comme mères) ne le demandent pas.

La mise en scène de la parole des enfants est centrale dans leur communication. 

Ils font de la figure des enfants un usage principalement stratégique. On retrouve très fréquemment dans le nom des associations, comme J’aime mes deux parents ou Les papas = les mamans, des constructions très enfantines. Le slogan de SOS Papa parle même à la place des enfants : « nous avons le droit à nos deux parents ». Aussi, les associations n’hésitent pas à mettre en ligne de faux témoignages et de faux dessins d’enfant.

Par contre, lorsque les enfants arrivent par eux-mêmes à exprimer un souhait, ils ne sont pas forcément écoutés. Leur parole est sacralisée lorsqu’elle va dans de le sens des demandes formulées par le père et à l’inverse, elle est considérée comme un caprice, une crise d’ado, ou le résultat d’une manipulation de la mère, si elle va plutôt dans le sens de cette dernière et s’oppose au père.

Vous évoquez le fameux Syndrome d’aliénation parentale…

Cette pseudo-théorie, mise en place à partir des années 1970 par le psychologue américain Richard Gardner, veut que les mères manipuleraient de façon massive et systématique leurs enfants pour qu’ils portent des fausses accusations contre leur père. Tout ça dans le but de les éloigner de leurs enfants.

Selon cette logique, extrêmement problématique, lorsque l’enfant évoque des violences de la part de son père elles sont donc nécessairement fausses. Ce qui permet aux pères de se dédouaner.

Justement, un tiers des hommes que vous avez rencontrés dans ces associations étaient accusés de violences ou conjugales et/ou de violences sexuelles sur leur enfant.

Il ne s’agit que d’un constat sur l’échantillon que j’ai rencontré, oui. Mais c’est plutôt cohérent, puisque les pères qui s’adressent à ces associations, et d’autant plus ceux qui y militent, ont été concernés, ou le sont encore, par des séparations ou divorces particulièrement conflictuels.

Il arrive assez régulièrement que ces faits, ou des accusations de violences sur leurs enfants, soient évoqués en groupe de parole. Mais ce qui est effrayant, ce sont surtout les réactions que l’évocation de ces violences suscite. Elles sont banalisées, minimisées, voire complètement niées par les membres des associations.

De façon globale, une rhétorique masculiniste et anti-féministe est présente dans les échanges. Les pères retournent la responsabilité des violences. Ce sont les femmes qui sont rendues responsables de la violence physique des hommes, sous prétexte qu’elles feraient de fausses accusations.

Dans une vision totalement essentialiste et paternaliste, les membres s’appuient sur la croyance selon laquelle les femmes se serviraient davantage de la manipulation et que les hommes n’auraient pour eux que la violence physique, parce que c’est leur nature.

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Comment expliquer le sentiment de légitimé, voire d’impunité, chez ses pères en lutte ?

Dans la société en général, l’impunité des hommes est assez réelle et concrète, déjà. Ils obtiennent ce qu’ils demandent sans trop de difficultés, notamment dans les rapports sociaux.

Pour eux, l’égalité des sexes a été atteinte, et les féministes sont mêmes allées trop loin. Ainsi, il semble nécessaire et légitime pour les membres de s’organiser en tant qu’hommes pour revendiquer plus de droits.

Ils se mobilisent parce qu’ils n’obtiennent pas gain de cause du tout, ou ont peur de ne pas l’obtenir. C’est une situation exceptionnelle pour la gent masculine et qui la déroute assez fortement. Les pères viennent donc chercher des réponses dans ce mouvement, où tout est permis pour rétablir « l’ordre initial », patriarcal, au sein de leur famille.

Le vrai enjeu pour ces pères, c’est une victoire ou une défaite judiciaire face à l’ex-conjointe.

Lorsqu’ils ont gain de cause et obtiennent la garde de leurs enfants, des pères se retrouvent face à une situation inédite : la charge mentale.

Plusieurs entretiens que j’ai eu font ressortir de façon assez net la surprise des pères et le décalage assez fort entre leur vie en couple et leur vie seul. Quand les pères passent plusieurs jours d’affilés à s’occuper de leurs enfants, ils reconnaissent que la mise en place de cette organisation a été très dure pour eux, qu’ils étaient complètement perdus et épuisés… En fait, ils n’étaient pas du tout préparés à cette réalité.

Ça souligne donc le fait que les associations pour les droits des pères ne participent pas du tout à cette prise de conscience, de ce que représente le travail domestique, parental etc… D’ailleurs ces aspects très pratiques et concrets autour du quotidien avec les enfants (prise en charge, relations, bien-être) ne sont quasiment jamais abordés en réunion.

L’enfant n’est donc pas la première préoccupation ?

En fait, leur priorité n’est pas nécessairement d’avoir plus de temps à partager avec leurs enfants, mais d’obtenir plus de temps de responsabilité légale de ceux-ci. Pour cela, mécaniquement, la mère doit donc en disposer de moins. C’est là qu’on voit le vrai enjeu pour ces pères : une victoire ou une défaite judiciaire, face à l’ex-conjointe.

Ils revendiquent la paternité plutôt que la parentalité de leurs enfants. Et portent l’idée selon laquelle un père apporte des choses fondamentalement différentes à l’enfant, vis à vis de la mère. La raison d’être du mouvement est dans la veine « traditionnelle » : pour se développer correctement, un enfant a besoin d’un papa et d’une maman.

Ce qui importe finalement dans ce mouvement, c’est le statut du père et les prérogatives supposées qui y sont associées. Beaucoup plus que la parentalité elle-même, dans la pratique.

Les pères revendiquent des droits, mais ne s’acquittent pas des devoirs qui vont avec ?

En groupe de parole, les militants incitent les pères à demander la résidence alternée ou des droits de visite et d’hébergement élargis, alors même que ceux-là savent très bien qu’ils ne pourront pas les assumer. Ce à quoi les militants répondent qu’ils n’ont qu’à faire garder les enfants par leur entourage, et donc de déléguer leur prise en charge. Ils suggèrent aussi, en cas d’emploi du temps incompatible, de les laisser à leur mère sans forcément la prévenir, partant donc du principe, qu’elle, sera systématiquement disponible.

Les associations insistent : les pères ont le droit de voir leurs enfants mais il n’y pas d’obligation pour eux de mettre en application les avantages qui en découlent. À l’inverse, si la justice les empêche d’exercer ce droit, ils en sont très mécontents.

La pension alimentaire revient souvent dans les échanges auxquels vous avez assisté, elle semble crisper beaucoup de pères.

Dans leur communication, les associations ne parlent que très peu d’argent. Mais au sein des permanences, c’est quand même quelque chose qui ressort assez régulièrement. De façon générale, la pension alimentaire est considérée comme étant trop élevée par les pères, qui la considèrent même injustifiée. Ils imaginent les mères s’acheter des chaussures avec, et estiment qu’elle fait office de rançon que la justice leur impose pour avoir le droit de voir leurs enfants. Les études sur l’utilisation de cet argent prouvent pourtant le contraire.

Là encore, la résidence alternée est présentée comme une solution miracle, puisqu’elle fait disparaître la pension. Les militants vont jusqu’à donner des conseils d’optimisation fiscale aux pères. Plusieurs fois, j’ai assisté à des échanges durant lesquels ils évoquaient la possibilité d’organiser son insolvabilité afin de ne plus payer la mère, ce qui est purement illégal.

Ils veulent incarner ces « nouveaux pères » qui ont changé.

Comment expliquer que le discours de ces associations fonctionne autant ?

Déjà, on vit actuellement un backlash anti-féministe. Le mouvement pour les droits des pères y participe tout en se donnant l’apparence de combattre pour l’égalité et pour la défense des enfants innocents. Les associations surfent sur une attente sociale réelle et forte, qui est celle de la plus grande implication des hommes dans les tâches domestiques et parentales.

Ils veulent incarner ces « nouveaux pères » qui ont changé, et pour qui la seule chose qui les empêche d’appliquer cette égalité concrète, ce sont les discriminations contre les hommes. Ils suscitent donc une sympathie assez large.

Ils ont de l’influence du côté des magistrats ou du législateur, vous notez que la question de la résidence alternée automatique a déjà été débattue plusieurs fois à l’assemblée, avec leur appui. Existe-t-il un risque que leur argumentaire finisse par passer ?

Ça reste possible, quand on voit l’écho et la réception qu’ils ont auprès de la sphère politique. En décembre 2021, il y a eu une marche pour l’égalité parentale dont l’arrivée était Paris. Ils n’étaient que neuf, dont une seule femme. Pourtant ils ont été reçus par les représentants de trois ministères différents.

Preuve qu’ils n’ont pas besoin d’être efficaces ou bien organisés pour être entendus. Soit leur discours est perçu comme bienveillant, soit certaines personnes ont compris que leur cause était un moyen d’être anti-féministe sans en avoir l’air.

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