- Le droit d’aller voter comme tout le monde
- Se rendre aux urnes dans certaines conditions
- Des exceptions à la règle
- Comment construire son avis politique en hôpital psychiatrique ?
- Un sujet révélateur de la considération de la psychiatrie en France
- “Des gens comme tout le monde”
À l’approche du premier tour de l’élection présidentielle, les services de psychiatrie de toute la France s’activent pour informer les patient.e.s sur leurs droits et les différentes propositions des candidats.
“On a reçu dernièrement une note de service qui nous incitait à rappeler les dates de vote. On a commencé à lister les personnes qui souhaitent aller voter et on distribue les formulaires CERFA”, énumère Alexandra Lemettais, cadre de santé au CH du Sud Seine-et-Marne, à Nemours.
C’est un sujet rarement évoqué : les personnes hospitalisées en service de psychiatrie, que ce soit en soins libres ou sans leur consentement, sont des citoyens à part entière et gardent bien évidemment leur droit de vote.
Le droit d’aller voter comme tout le monde
“Ils/elles pourront donc aller voter comme tout le monde”, explicite Jérôme Cagnieul, conseiller juridique au CHU de Montpellier. Un.e soignant.e peut par ailleurs s’exposer à une condamnation pénale dans le cas où il ou elle interdisait à un.e patient.e d’accéder à ce droit.
Pour Alexandra Lemettais, difficile toutefois d’anticiper un taux de participation. “Nous, on fait la démarche d’informer. Mais on reste en psychiatrie : un jour, ils voudront voter, le lendemain, plus forcément …”, explique-t-elle.
“L’équipe a une grosse part de responsabilité dans l’information aux patient.e.s. Il faut les préparer à ce que la police vienne les rencontrer pour faire la procuration. Lors de cet entretien, on peut juger si l’état est apte ou non”, détaille Khaddouj Bouasria, directrice des relations avec les usagers et des affaires juridiques à l’Établissement public de santé mentale de Ville Evrard.
Se rendre aux urnes dans certaines conditions
Dans le cadre d’une hospitalisation sous contrainte, sur des moyens ou longs séjours, la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits des malades rappelle que le ou la patiente “dispose en tout état de cause, du droit d’exercer son droit de vote”. Mais les malades à qui l’on administre des soins à la demande d’un tiers ne pourront pas se rendre aux urnes en avril prochain sans condition.
Cela dépend en tout état de cause du mode d’hospitalisation des patient.e.s. Pourront physiquement aller voter les malades en soins psychiatriques libres, qui ont conscience de leurs troubles mentaux et ont par conséquent la liberté de mouvement. Pour ce faire, ils peuvent avoir à formuler une demande de sortie “d’une durée maximale de 48 heures” à la direction de l’hôpital, rappelle le site SantéMentale.fr.
Nous, on fait la démarche d’informer. Mais on reste en psychiatrie : un jour, ils voudront voter, le lendemain, plus forcément.
Si un.e psychiatre juge un patient apte, il sera également possible d’organiser “une sortie accompagnée de moins de douze heures”. Pour les patient.e.s en Soins à la demande du représentant de l’État (SDRE), il est “indispensable d’avertir le préfet au moins 48 heures avant”, souligne SantéMentale.fr.
Quand l’état physique ou mental est incompatible avec un déplacement, une procédure de procuration est mise en place.
Des exceptions à la règle
Des règles qui ne s’appliqueront pas à tous les malades. Dans le cadre d’une procédure de mise sous tutelle, une personne internée en psychiatrie peut perdre son droit de vote. “Cela ne concerne pas la curatelle”, qui relève davantage du conseil que de l’ordre ou de l’interdiction, précise Khaddouj Bouasria.
SantéMentale.fr rappelle que, lors de l’ouverture ou du renouvellement de la tutelle, “le juge statue sur le maintien ou la suppression du droit de vote de la personne protégée”. Cette déchéance de droit n’est donc pas systématique.
“Comme pour tous.tes les citoyen.ne.s, la la justice peut aussi empêcher un.e malade d’aller voter”, précise Jérôme Cagnieul. En effet, dans le cadre d’un jugement pénal, une personne souffrant de troubles mentaux condamnée à la perte de ses droits civiques, “perd son droit de vote pendant le délai fixé par le jugement”, d’après le site du ministère de l’Intérieur.
Comment construire son avis politique en hôpital psychiatrique ?
Que ces patient.e.s puissent voter est une chose, mais qu’ils sachent pour qui le faire en est une autre.
“Beaucoup de personnes hospitalisées en psychiatrie sont dans des moments de faiblesse psychique et donc facilement manipulables et influençables par les autres patients ou le personnel médical”, s’inquiète Louna, étudiante en médecine.
Contrairement à ce qu’on peut croire, les patient.e.s ne sont pas coupé.e.s du monde. Ils ont accès à une télévision commune, écoutent la radio.
De quoi hérisser le poil de la directrice de l’Établissement public de santé mentale de Ville Evrard, Khaddouj Bouasria. “On veille à leurs droits, les soignant.e.s ne sont pas là pour leur dire comment ils doivent penser”, assène-t-elle.
D’après elle, les malades ont suffisamment de quoi se faire un avis au sein de l’hôpital. “Ils ont quand même des droits de sortie, ils parlent avec leurs proches, ils savent ce qui passe dehors”.
Alexandra Lemettais est du même avis : “Contrairement à ce qu’on peut croire, les patient.e.s ne sont pas coupé.e.s du monde. Ils ont accès à une télévision commune, écoutent la radio… C’est vrai qu’ils sont très axés sur l’Ukraine en ce moment.”
Un sujet révélateur de la considération de la psychiatrie en France
Si c’est un sujet dont on parle peu ou pas, c’est toutefois révélateur de la considération de ces patients dans le paysage public et sociétal.
Abordant différents anonymes sur la question, on découvre rapidement que le regard porté sur cette question du vote des patients en psychiatrie peut être assez radical. “Je ne pense pas que les malades devraient voter. Dans les hôpitaux psychiatriques ils sont shootés, n’ont plus d’émotions ni la capacité de réfléchir de façon consciente. Ça biaise leur vote”, tranche Shanone, 22 ans. “Ce sont des personnes certainement influençables. Et pour certaines, qui n’ont pas vraiment conscience de leurs actes”, argue Clément, 28 ans.
D’autres personnes, plus pondérées, estiment que “c’est du cas par cas”. “Ça reviendrait à les mettre à part de la société”, témoigne Tess, 25 ans. Louise, 32 ans, pense qu’avec l’aide d’une tierce personne, ces malades “méritent” qu’on les “autorise à faire un choix éduqué ».
Des déclarations qui blessent Khaddouj Bouasria. “C’est vraiment très douloureux pour moi d’entendre ça”, souffle-t-elle.
“Des gens comme tout le monde”
Lorsqu’on interroge le personnel en psychiatrie sur le bien-fondé du droit de vote des patient.e.s en psychiatrie, les réactions semblent unanimes. “Cela fait 20 ans que je travaille en psychiatrie, je n’avais jamais entendu que les patient.e.s ne devraient pas pouvoir voter”, s’étonne Alexandra Lemettais. “Ce sont des gens comme tout le monde”. Jérôme Cagnieul est sur la même longueur d’onde : “Je ne vois pas en quoi cela pourrait être incompatible, il y a bien des gens qui vont voter bourré”.
“La psychiatrie peut toucher tout le monde, à n’importe quel moment de la vie”, argue, quant à elle Khaddouj Bouasria. Les soins psychiatriques libres concernent d’ailleurs 90% des hospitalisations, d’après Solidarités Usagers Psys. “On peut venir en psychiatrie juste parce qu’on ne va pas bien”, clame Alexandra Lemettais.
Les gens devraient apprendre à mieux connaître ce milieu. Cela fait bien longtemps qu’on a dépassé Vol au-dessus d’un nid de coucou.
D’après elle, ce débat qui “n’a pas lieu d’être” est le résultat de la méconnaissance générale du milieu psychiatrique. “La plupart des gens sont restés bloqués sur l’image de l’asile il y a trente ans. Ils pensent qu’on a toujours des chambres capitonnées, qu’on utilise toujours la camisole”.
Une ignorance qui amène forcément à des préjugés. “Les gens devraient apprendre à mieux connaître ce milieu. Cela fait bien longtemps qu’on a dépassé Vol au-dessus d’un nid de coucou”, lâche-t-elle en conclusion.
Source: Lire L’Article Complet