« On a voulu marquer notre désapprobation, aussi modeste soit-elle », explique Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, mardi 1er mars sur franceinfo, alors que le festival de cinéma a décidé « de ne pas accueillir » de délégations russes pour l’édition qui se tient du 17 au 28 mai. « Sauf à ce que la guerre d’agression cesse », a-t-il ajouté.
franceinfo : Pourquoi cette décision d’interdire les délégations russes ?
Thierry Frémaux : C’est une façon pour nous de protester contre ce qui se passe là-bas. L’Europe est en guerre. Dans le monde du sport et de la culture, des voix se font entendre, et il fallait faire entendre la nôtre. C’est compliqué car Cannes est dans trois mois, on ne sait pas quelle sera la situation. C’est compliqué aussi car on veut soutenir le peuple ukrainien et en même temps, on veut aussi dire qu’il y a des gens qui protestent contre cette guerre à l’intérieur du territoire russe. Les cinéastes russes que nous avons l’habitude d’accueillir à Cannes nous ont alerté depuis des années sur la situation faite au peuple russe par le gouvernement de Vladimir Poutine. On voulait soutenir les Ukrainiens. Cannes a l’habitude d’accueillir les cinéastes ukrainiens. Sergueï Loznitsa, qui était encore en sélection officielle l’an dernier, nous a dit que ces soutiens étaient précieux. On a voulu marquer notre désapprobation, aussi modeste soit-elle.
C’est rare que le Festival de Cannes fasse de la politique ?
Oui et non. Le Festival fait souvent beaucoup de politique car les artistes en font, et qu’on montre leurs films. Mais n’oublions pas que Cannes est né en 1939 en protestation contre la Mostra de Venise, aux mains de Goebbels et Mussolini, et que Jean Zay et Philippe Erlanger [créateurs de Cannes] ont dit qu’il fallait un festival du monde libre. Cannes a toujours été empreint de cette idée-là. Lorsqu’en 1946 le Festival a repris, c’était sur les années d’espérance, de l’idée qu’il n’y aurait plus jamais de guerre. On se sent donc complètement dans le fil de l’histoire. Il n’est pas question pour nous d’accueillir des délégations officielles du gouvernement russe.
Quel est l’impact sur les films ou acteurs russes attendus ?
C’est beaucoup trop tôt pour le dire. La sélection commence à peine. On n’a pas encore vu de film russe ni ukrainien. Ce n’est pas cette question-là qui se pose. Souvenez-vous du film Léviathan d’Andreï Zviaguintsev : nulle œuvre que celle-là peut mieux dire ce qu’est devenu la Russie sous le gouvernement de Vladimir Poutine récemment. On a aussi des cinéastes comme Alexandre Sokourov qui ont pu montrer au début, à l’arrivée de Poutine, leur soutien à ce gouvernement, et qui depuis ont changé d’avis. Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de la protestation, parce qu’elle est sourde et qu’il y a de la répression. On veut aussi être aux côtés de ces cinéastes.
Y aura-t-il un boycott des films russes ?
Je dis attention. Les films russes que nous montrons sont anti-Poutine. Les cinéastes, quand ils prennent la caméra, c’est souvent pour dire des vérités que le peuple russe ne connait pas, en raison de la manipulation de l’opinion.
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