A Reims, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Il y a deux ans, après presque quatre siècles d’existence et de transmission familiale, l’atelier des maîtres verriers Simon-Marq était à deux doigts de mettre la clé sous la porte, emporté par la faillite de son nouveau propriétaire parisien. Sensibles à la sauvegarde du patrimoine culturel champenois, Philippe Varin et Pierre-Emmanuel Taittinger, deux figures rémoises et chefs d’entreprises incontournables, ont racheté cette maison historique, avec de riches ambitions en tête. “Pour héberger les ateliers, Pierre-Emmanuel Taittinger rêvait d’un lieu différent, et pourquoi pas d’une église, pour revenir au coeur du savoir-faire, raconte Marine Rondeau, la nouvelle directrice. La chance, ou le destin, a fait que le diocèse nous a proposé cette incroyable église du Sacré-Coeur sous forme de bail emphytéotique [de très longue durée, NDRL].”
Un église en béton, écrin d’un futur musée du vitrail
Deux ans après avoir imaginé ranger définitivement leurs couteaux à plomb et leurs marteaux, les cinq maîtres verriers sont désormais installés au sous-sol de cet étonnant édifice religieux en béton, construit en 1950. Tables de découpe ou de masticage, salles de sablage ou réservées aux bains d’acide, rayonnages où s’alignent comme à la parade des plaques de verre soufflé de toutes les couleurs : difficile d’imaginer, en visitant l’atelier, qu’une volée de marches plus haut, des rangées de chaises en bois semblent attendre des fidèles qui ne viendront plus. L’église, désacralisée, est aujourd’hui entièrement destinée au savoir-faire de cette maison qui poursuit sa double mission : sauvegarder les vitraux anciens et sublimer les espaces de couleurs et de lumière.
Et comme ce déménagement a également vocation à favoriser du changement, Marine Rondeau réfléchit à l’édition d’objets d’art, tel ce vitrail à poser signé Joachim Jirou-Najou qui pourrait être suivi de prochaines productions et collaborations. “Notre autre ambition, c’est d’ouvrir ce lieu en dehors des Journées du patrimoine, de montrer ce savoir-faire incroyable au plus grand nombre.” Avec en point d’orgue la découverte des deux immenses vitraux signés Charles Marq qui illuminent le choeur depuis les années 50, le Sacré-Coeur abritera donc bientôt un musée du vitrail. Une manière de conjurer le sort et de graver dans le verre soufflé cette nouvelle page de l’histoire de Simon-Marq.
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L’église du Sacré-Coeur à Reims
Délaissée depuis de nombreuses années, l’église du Sacré-Coeur, conçue par les architectes André Gaston et Yves Michel, a été inaugurée en 1959. Tout en béton, le bâtiment, surélevé par rapport à la rue, s’étire sur deux niveaux : l’étage principal, anciennement destiné aux célébrations religieuses, et un autre de soubassement, qui accueille aujourd’hui les différents ateliers et espaces de stockage.
Des vitraux signés Charles Marq
Comme un présage, l’Atelier Simon-Marq était de fait déjà présent dans l’église du Sacré-Coeur. C’est en effet Charles Marq qui a signé les deux imposants vitraux qui, le matin, se reflètent sur les murs du choeur derrière l’autel.
La salle de stockage de plaques de verre soufflé
Dans cette pièce sont stockées des centaines de plaques de verre soufflé, pour la plupart fabriquées par la verrerie de Saint-Just. Depuis douze générations, ce stock de feuilles alimente les compagnons et leurs créations.
Un nuancier pour retranscrire les couleurs des dessins originels
À la disposition des cinq maîtres verriers (et verrières – la profession s’est largement féminisée ces dernières années), un nuancier de plus de 1 100 tons leur permet de retranscrire les couleurs des dessins originels qu’ils transforment en vitraux.
La restauration des vitraux
Si les artisans de l’Atelier Simon-Marq ont notamment réalisé la totalité des vitraux dessinés par Marc Chagall, ils savent aussi bien restaurer (en assurant le démontage et le remontage in situ) des modèles anciens que réaliser des vitraux plus modernes, comme ceux, en cours, pour l’église Saint-Hilaire à Givet, dans les Ardennes.
Des vitraux aux dessins imaginés par l’artiste Jean-Paul Agosti
À Reims, à quelques encablures de l’église du Sacré-Coeur, les élèves de l’institution Saint-Joseph ont la chance d’être les spectateurs privilégiés du plus grand ensemble de vitraux modernes réalisé en France ces vingt dernières années. 320 m2 de rectangles de verre assemblés par un cordon de plomb pour former les dessins imaginés par l’artiste Jean-Paul Agosti. Le verre n’est pigmenté qu’en surface ; afin d’inclure des motifs, la pellicule colorée est effacée par sablage ou morsure à l’acide, et remplacée au pinceau par des émaux teintés cuits au four pour un résultat qui laisse sans voix.
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Reportage extrait du n°531 – Février 2022 de Marie Claire Maison
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