Clara Luciani : "Je suis une amoureuse avec un grand A, j’ai tendance à ne vivre que pour et par l’autre"

Avec Cœur, son deuxième album vibrant d’énergie, la chanteuse, icône de sa génération, part favorite aux Victoires de la musique, le 11 février. Flash-back sur son parcours fulgurant, avant sa tournée de concerts dans toute la France.

Vive les ruptures amoureuses, elles nous permettent de n’avoir plus rien à perdre. Qu’elle chante Le Reste, Respire encore ou La Grenade, ses trois tubes auréolés de platine, d’or et de diamant, Clara Luciani transforme les chagrins en renaissance, les brimades en revanche. Pile ce dont l’époque a besoin, surtout si habilement tournés en refrains entêtants, si joliment campés par une jeune femme à la fois moderne et rétro, sophistiquée et simple.

À 29 ans, la chanteuse, qui écrit ses textes et compose ses mélodies, maîtrise l’alliage du chic et du populaire, précieux philtre que peu savent distiller, on songe à Vanessa Paradis ou à Françoise Hardy, d’ailleurs un «modèle» pour elle. Apparue sur la pointe des pieds avec un premier EP en 2017, Clara Luciani s’est transformée mine de rien en phénomène, du triomphe d’un premier album, Sainte-Victoire, en 2018, à la confirmation du deuxième, Cœur (1), hymne à la liberté sorti à la fin du dernier confinement, le 11 juin 2021.

En vidéo, Clara Luciani, droit au « Cœur »

« C’est allé très vite »

2022 ne semble pas vouloir ralentir la cadence. Sous réserve des péripéties du virus, une «tournée des Zénith» s’annonce, avec une vingtaine de dates en France, du 9 au 31 mars, dont plusieurs déjà complètes. C’est notamment le cas des trois parisiennes, en mai, d’où le pari même pas osé d’un Accor Arena-Paris en décembre. Aux prochaines Victoires de la musique, le 11 février, l’artiste deux fois primée par le passé est grande favorite, nommée dans quatre catégories. «C’est allé très vite, c’est vrai que parfois je préfère ne pas y penser», souffle-t-elle, timide, blottie dans un grand pull mohair. Rencontrer Clara Luciani, un froid jeudi d’hiver, dans un café douillet, n’enlève rien à son aura de madone de la scène scintillante en Gucci, mais y ajoute, réjouissant paradoxe, le charme de la simplicité.

Ce côté franc, même fleur bleue – Clara pleure quand son père parle de son enfance sur RTL, essuie des larmes en chantant pour sa sœur sur W9 –, cohabite avec un vrai tempérament : l’image de guerrière, gagnée avec La Grenade, n’est pas usurpée. De son arrivée à Paris à 19 ans, sans argent ni appuis, à une dépression sentimentale métamorphosée en starter de carrière, la jeune femme sait oser, rebondir, saisir les opportunités. D’où l’idée d’un entretien sur le thème de ses « moments décisifs ». Nous en avons listé six.

2022, la consécration du public

Pour sa boutique en ligne (2), où l’on trouve médaillons, bougies, vêtements aux motifs cœur ou grenade, dessinés par ses soins, Clara Luciani dédicace à la main toutes les photos qui accompagnent les packs CD ou vinyle. «Ça me prend un temps fou, avoue-t-elle en souriant, mais ça ne me dérange pas de faire ça pour des personnes qui font l’effort d’acheter un album.»

Robe-chemise, ceinture et bottes, L’ensemble Gucci.

Clara Luciani porte une tenue Gucci. Réalisation Sylvie Clemente. Maquillage Angloma. Coiffure Rudy Marmet. Manucure Huberte Cesarion. «Prismatic» est une œuvre de Thomas Canto @ Fondation Cherqui.

Costume de scène pailleté, Gucci.

Clara Luciani porte une tenue Gucci. Réalisation Sylvie Clemente. Maquillage Angloma. Coiffure Rudy Marmet. Manucure Huberte Cesarion. «Prismatic» est une œuvre de Thomas Canto @ Fondation Cherqui.

Sur Instagram, elle répond à tous les messages. Sur Facebook, c’est devenu impossible, mais elle ne laisse jamais sans un retour les «anciens», ceux qui sont là depuis le début. «Il y a une communauté qui me suit sur de nombreuses dates. Ce sont les gens souvent assis au premier rang, je vois leurs visages. On a appris à se connaître. Je connais leurs prénoms, je sais où ils vivent. Je sais quand quelqu’un perd un être cher, quand il y en a un qui est malade. Beaucoup d’artistes, au bout d’un moment, oublient que sans le public ils ne sont rien. Moi, c’est quelque chose que j’ai en tête. Tout ce que je dois aux gens.»

L’ouragan de « La Grenade »

Il arrive qu’on l’interpelle dans la rue en criant : «Hey, La Grenade !» Ce n’est pas son expérience préférée, mais elle illustre l’importance de cette chanson, restée un an inconnue avant de devenir le tube absolu de 2019, hymne féministe célébrant la force des femmes repris dans les manifs, rengaine réconciliant France Inter et TF1. Si Clara a su se laisser hisser par la tornade, elle ne l’avait pas anticipée. «Pendant huit ans, j’avais enchaîné les collaborations, les projets, et n’avais jamais été remarquée. Donc je m’étais dit : ce sera ta vie, un parcours confidentiel. Et puis c’était une chanson personnelle, qui racontait certes une forme de sexisme, mais je n’imaginais pas que tant d’autres s’y reconnaîtraient. Je n’ai jamais cherché l’engagement pour l’engagement. Ça fait très Walt Disney de dire ça, mais je crois qu’il faut écouter son cœur, faire les choses quand on en ressent le besoin. Pas parce qu’on obéit à une pression. Garder la liberté de ne pas se positionner.» À Noël, Clara Luciani a organisé une «vente de soutien» aux Maisons des femmes, «la suite logique» de sa chanson Cœur, sur les féminicides.

Les tourments de l’école

La plus grande qualité de Clara Luciani ? «Travailleuse», répond un homme qui la soutient depuis ses premiers pas musicaux, et dirige maintenant son label, Romance, chez Universal. Pierre Cornet – «longtemps le seul à s’intéresser à moi», précise en riant la chanteuse – l’a signée après son passage dans le groupe La Femme, d’abord pour un duo, Hologram, puis solo. «Ça ne fait pas glamour de dire que c’est une grande bosseuse, poursuit-il, mais c’est fondamental. Clara est capable de se renouveler sans arrêt, tout en restant elle-même. C’est un signe de grande santé artistique : avoir un style et une évolution.» Ainsi, la chanteuse si à l’aise sur les réseaux sociaux était-elle, il y a peu, totalement opposée à la technologie : «Pas de smartphone, pas d’ordinateur, injoignable, soupire Pierre Cornet. On lui a expliqué qu’il fallait changer, elle a longtemps refusé… et puis un jour elle l’a fait, comme si c’était une évidence.»

Selon Clara Luciani, sa pugnacité et sa capacité à s’adapter viennent de l’enfance. Le harcèlement subi à l’école primaire où, moquée pour sa taille – «je dépassais les professeurs» –, elle allait en pleurant, l’a fait souffrir autant que l’a endurcie. «Ça et le fait d’être isolée. La solitude a nourri mon imaginaire. J’ai beaucoup lu petite. Ma mère m’emmenait à la médiathèque chaque mercredi. Elle voulait que ma sœur et moi nous fassions des études, qu’on s’élève socialement.»

Les regrets de son père

Clara Luciani a grandi à Martigues, puis à Septèmes-les-Vallons, près de Marseille. Sa mère, Évelyne, est aide-soignante, son père, Jean-Marc, employé de banque. «Un milieu très simple.» Souvenirs de rares vacances d’été, à Dunkerque, hébergés dans la famille, et de son père qui soupire le matin : «Ne faites pas comme moi, trouvez un métier pour lequel vous serez contentes de vous réveiller.» Il aurait voulu être musicien, ses deux filles relèveront le défi. «Quand on est très lié avec ses parents, on porte leur rêve sur notre dos. Je me suis inventé cette responsabilité-là. Aujourd’hui, alors que je pourrais me satisfaire de beaucoup de choses, ce qui me rend le plus heureuse, c’est la fierté de mes parents.» Et de sa sœur aînée, Léa, qui mène une carrière musicale pour l’instant plus discrète sous le nom d’Ehla. «On forme une bulle tous les quatre, nous sommes complètement fusionnels. Ma sœur, je suis admirative de la façon dont elle gère. Ce serait facile de tomber dans un sentiment de jalousie. À sa place, je ne sais pas comment je réagirais. Or, elle est hyper encourageante, elle vient me voir en concert tout le temps et me donne son avis sur les chansons.»

En vidéo, « Ma sœur » de Clara Luciani

Paris sur un coup de tête

«Ce qu’elle a fait, tout quitter, partir du jour au lendemain à Paris, à 19 ans, parce que le chanteur de La Femme lui avait parlé de faire éventuellement un essai, c’est quand même légèrement excessif», plaisante Pierre Cornet, encore médusé du culot de sa protégée. «Et romantique. Elle partait guitare au dos, au lieu de prendre comme tout le monde un aller-retour pour le week-end.» Ses parents, sur le coup, ne l’ont pas vu comme ça. «Mon père, surtout, se souvient Clara, était terrorisé. On est restés plusieurs mois sans se parler. Je crois qu’il se sentait coupable aussi, de m’avoir mis la musique dans la tête. Je ne connaissais personne à Paris, à part ma cousine Zula Zazou, danseuse au Crazy Horse. Elle m’a hébergée quelques jours, jusqu’à ce que je trouve une chambre de bonne et un job de vendeuse chez Zara.»

Le chagrin d’amour fondateur

Elle le dit régulièrement, c’est une rupture sentimentale, il y a cinq ans, qui lui a donné l’envie d’écrire ses premières chansons en français et de se lancer dans une carrière en solitaire. «Pour la première fois, j’avais quelque chose à raconter. J’ai pensé : il faut absolument que je mette des mots, de la musique sur cette histoire, car personne n’a autant souffert d’amour depuis la création de l’humanité.» Elle se moque d’elle-même à présent, et ce deuxième regard, railleur, sur la même idylle a nourri l’album Cœur (Amour toujours, Le Reste…) «Je me dis : “Mais comment as-tu pu entrer dans des schémas aussi absurdes, passionnels ?”» Elle jure qu’elle ne laissera plus jamais un homme passer avant sa musique et argumente : «Parce que je suis tellement une amoureuse avec un grand A… J’ai tendance à ne vivre que pour et par l’autre.» On objecte qu’à 29 ans, si telle est sa nature, cela risque de lui arriver à nouveau. Elle éclate de rire. «C’est vrai, alors j’écrirai un autre album !»

(1) Cœur (Universal/Romance Musique).
(2) claraluciani.store

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